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s’est donné à lui-même la parole, comme il l’a dit avec une rondeur de bon compagnon.

Que les partis soient toujours prompts à saisir les occasions et même à les provoquer, qu’ils se plaisent à tout exagérer, même l’influence la plus naturelle et les interventions les plus légitimes, quand ils ont un puissant adversaire à combattre, — c’est leur rôle, leur tactique et presque leur droit. Mettons qu’on ait exagéré beaucoup dans tout ce qu’on a dit de ce « gouvernement occulte » qui a fait l’autre jour son apparition dans les assemblées. De son côté, M. le président de la chambre des députés, on en conviendra, est allé un peu loin dans un autre sens lorsque, sous prétexte de détruire les fables et les légendes qui courent sur son compte, il a cru pouvoir affirmer, sans crainte d’être démenti par les ministres d’aujourd’hui ou d’hier, que « jamais, à une heure quelconque, ni de près, ni de loin, il n’était intervenu pour peser sur leurs opinions et leurs résolutions, ni même par un conseil. » Il a dû compter un peu sur la magie de sa parole et sur la bonne volonté de tous ceux qui l’ont entendu ou lu lorsqu’il a cru pouvoir dire : « Je défie aucun ministre, aucun agent de la France à l’intérieur ou à l’extérieur, présens dans les bureaux ou en mission, de venir dire qu’à un jour, à une heure quelconque, je lui ai donné des instructions ou un mandat. » M. Gambetta a voulu trop prouver dans cette partie de son discours et se faire trop petit pour la circonstance. Il a oublié qu’à l’instant même où il parlait, son attitude, son langage, son accent, le sens de certaines de ses déclarations, tout protestait contre ce rôle modeste qu’il s’attribuait.

Il y a des cas où les apparences équivalent à des réalités, et ici l’apparence, c’est que M. Gambetta est évidemment depuis longtemps un personnage plus considérable, plus actif qu’il ne le dit. Des instructions, des mandats, des ordres, M. le président de la chambre n’en donne certainement pas, et il est peu vraisemblable qu’il entre dans les détails d’une vaste administration publique dont d’autres ont la direction officielle. Il n’est pas moins admis que M. Gambetta n’est étranger à rien. Lorsque le précédent cabinet, après avoir refusé et combattu l’amnistie, s’est décidé à proposer cette mesure, à quelle inspiration a-t-il obéi? Lorsqu’il y a eu des crises où deux présidens du conseil ont successivement disparu, après avoir reçu des votes de confiance, devant quelle influence se sont-ils effacés? M. Gambetta ne fait pas tout ce qu’il veut sans doute, il n’en est pas là; la vérité est cependant que, malgré ses protestations de réserve dans la direction des affaires, quoiqu’il déclare qu’il n’est rien, il a, par sa parole, une action décisive sur le parlement quand il le veut, et il a sur le gouvernement des prises assez efficaces pour que ceux qui sont soupçonnés de lui résister soient toujours menacés, pour que quelques-uns des ministres paraissent ne vivre que par lui. Il est beaucoup plus qu’il ne