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audacieux ne craignit pas de déclarer à ses compatriotes qu’un fétiche auquel on croit de tout son cœur est une idole moins méprisable qu’une formule à laquelle on ne croit plus qu’à moitié. L’Angleterre s’émut quand elle entendit la voix d’un solitaire qui criait : — « Eh quoi! dites-vous, plus de temples, plus d’autels, plus de liturgies, plus de symboles, plus de prêtres! Que nous restera-t-il?.. Rassurez-vous. L’univers de Dieu n’est-il pas un symbole? L’immensité n’est-elle pas un temple? L’histoire de l’homme n’est-elle pas un évangile? Si vous regrettez le chant de l’orgue, écoutez chanter les étoiles du matin. » — Oui, l’Angleterre s’étonna d’avoir produit un homme qui enseignait à la jeunesse que les formes ont peu de prix, que les formules passent, qu’il y a des vérités cachées dans toutes les religions, qu’il faut vénérer Apollon et Odin aussi bien que le Dieu de Mahomet, que si Jérémie et saint Jean furent de grands prophètes, Eschyle et Shakspeare furent aussi des inspirés, que si le Christ ouvrait les yeux des aveugles et faisait marcher les paralytiques, tous les grands hommes ont ouvert miraculeusement des yeux malades et remis en mouvement des jambes qui ne marchaient plus, que tous les temps comme tous les pays ont accompli des prodiges. Tel évêque en pâlit d’effroi, et les cendres de Wesley et de Whitefield tressaillirent dans leur tombeau.

Le mysticisme fait la guerre aux petites pratiques, aux formules surannées, aux dogmes rances, aux idoles vermoulues, et il travaille ainsi à l’affranchissement de l’esprit humain, mais il ne saurait lui procurer qu’une demi-liberté. Il est l’ennemi de la superstition, mais il s’accommode difficilement de la pure raison et la science lui fait peur. La science cherche à tout expliquer en ramenant tout à des lois; le mysticisme a la sainte horreur des explications, il voit partout du mystère, il fait profession de croire que le fond des choses est inexplicable. De très rigides orthodoxes ont été de grands hommes de science. Ils pensaient que l’omnipotence divine s’était réserve jadis un petit pays montagneux pour y opérer des prodiges, que le soleil s’était arrêté sur Gabaon et la lune sur Ajalon. Ils confinaient, ils cantonnaient le miracle dans un coin de l’espace et du temps, ils lui faisaient sa part comme on fait la part du feu; mais ils admettaient que, dans le reste de l’univers, tout est soumis à des lois éternelles et tout relève du sens commun. Newton croyait de toute son âme à l’Apocalypse, ce qui ne l’a pas empêché de découvrir l’attraction universelle et d’inventer le calcul infinitésimal. Carlyle affirmait que la nature est surnaturelle et que, quand elle n’est pas divine, elle est diabolique. Jamais aucun chimiste n’a trouvé au fond de son creuset ni Dieu ni le diable. Aussi goûtait-il les chimistes aussi peu que les utilitaires ; il parlait avec dédain de leurs alambics, de leurs réactifs, de leur présomptueuse ignorance qui se flatte d’éclaircir le mystère de la vie par des explications qui n’expliquent