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exigeante? Si la racine et la tige appartiennent à deux plantes différentes et sont réunies par le greffage, leurs relations restent les mêmes, et les mêmes causes amèneront les mêmes conséquences. En outre, le plus ou moins de convenance entre les deux, en contrariant, par exemple, le passage de la sève à travers la soudure, ne pourrait-il influer sur l’abondance, sur la puissance nutritive du courant nourricier, partant sur la résistance de l’individu mixte créé par le greffage ?

Une observation singulière semble, à cet égard, légitimer quelque souci. Elle a été faite pendant le congrès de Nîmes, au cours d’une très intéressante visite au domaine de Campuget. En 1877, quelques pieds de muscat conduits en treille étaient déjà très affaiblis par le phylloxéra, et ne portaient que des pampres de 0m, 30 à 0m,40 de longueur. En 1878, le jardinier du château eut l’idée de greffer un jacquez sur l’un d’eux. Ne consultant personne, il fit la greffe, non sous terre avec l’espoir que le greffon s’affranchirait, mais sur la tige, à un mètre au-dessus de la surface du sol. Cette même année 1878, la tige maîtresse du greffon prit un développement de 2m, 50. Le 22 septembre 1879, jour de notre visite, cette tête de jacquez avait des pampres de 5 et 6 mètres de longueur, tandis que les autres muscats, sans exception, sont morts. En septembre 1880, le propriétaire de Campuget me faisait l’honneur de me dire que ce curieux spécimen était encore fort beau.

Je ne vois pas d’autre explication que celle-ci, fournie par un savant botaniste : le jacquez possédant un feuillage beaucoup plus beau et plus abondant que le muscat, la racine du muscat qui porte aujourd’hui cette tige de jacquez reçoit de sa nouvelle feuille une nourriture plus abondante, plus substantielle qu’il ne faisait auparavant lorsqu’il avait sa propre feuille. Mieux nourrie, elle est devenue capable de réparer, au moins en partie, les dommages causés par l’insecte, et de fournir, en retour, à sa nouvelle compagne les élémens nécessaires à celle-ci pour sa propre existence. Mais alors ne peut-on se demander si un jacquez aura la même vigueur, la même force de résistance, la même durée, si on lui coupe la tête et qu’on la remplace par une tête de muscat?

Les meilleurs porte-greffes connus ne montrent, il est vrai, que très peu d’insectes, et, entre tous leurs mérites, c’est certainement celui-là qui me touche le plus. Il semble, au premier abord, que pour eux il y ait peu ou point à craindre un danger de ce genre, à moins que le greffage ne compromette l’immunité relative dont ils paraissent jouir. Or c’est justement ce qu’on pourrait craindre. Tous les horticulteurs savent bien que les arbres greffés portent, en général, des fruits plus beaux, plus savoureux que ne font les mêmes arbres francs de pied, c’est-à-dire vivant sur leurs propres racines. Si la soudure entre deux espèces et l’alliance qui se fait entre elles ont la propriété de modifier le fruit du