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étaient faites, il y aurait lieu d’en tenir compte. Elles furent faites en effet par les commissaires du directoire départemental, qui marchaient à la tête des patriotes. Des pourparlers s’engagèrent. Le maire d’Yssengeaux allégua pour justifier ses concitoyens qu’ils avaient pris les armes non pour attaquer, mais pour se défendre. Les commissaires feignirent d’accepter ces raisons, tout en blâmant les ordres d’armement. Ils demandèrent que gardes nationaux et paysans fussent invités à rentrer dans leurs foyers. Ils promirent qu’à ce prix leur troupe resterait dans les faubourgs, et que, seuls, escortés par cinquante hommes, ils entreraient dans la ville afin d’y proclamer, par leur présence, le triomphe de la loi. La municipalité adhéra à ces conditions ; mais elle comptait sans l’effervescence populaire. En recevant les communications du maire, la garde nationale protesta.

On vit des prêtres parcourir ses rangs.

— Si vous cédez aujourd’hui, disaient-ils, on vous désarmera demain, et bientôt les patriotes vous dicteront des ordres. Combien sont-ils en face de vous? Deux cents à peine; vous en aurez promptement raison.

Ce langage aggravait les émotions. Elles se traduisirent par de furieuses clameurs. Des femmes se rangèrent en farandole ; elles dansèrent autour des gardes nationaux, en chantant :

Ça ira, les patriotes à la lanterne!
Ça ira, les patriotes, on les pendra.


A l’église, on entendit sonner un glas, et la foule de crier que c’était le glas des patriotes. Lorsque les commissaires directoriaux se présentèrent, ayant derrière eux leur petite année, de laquelle ils allaient détacher les cinquante hommes qui devaient leur servir d’escorte, ils furent accueillis par une fusillade. Indignés, ils firent tirer deux coups de canon sur la foule, qui se dispersa, en laissant sur la place sept morts et cinq blessés. Ce fut la fin de l’émeute. Les insurgés défaits en quelques minutes, leurs chefs prirent la fuite. Le même jour, l’armée légale entrait dans la ville, où désormais le gouvernement allait régner par la terreur. Ainsi, à Yssengeaux comme à Mende, la hâte imprudente des royalistes produisait les mêmes résultats et enlevait à l’insurrection du Midi une partie de ses forces et de ses moyens d’action.

Au cours de ces événemens, ailleurs, il s’en était passé d’autres d’une égale gravité. Des bandes marseillaises entrant dans Arles avaient donné la chasse aux contre-révolutionnaires, brisant du même coup tous les plans en vue desquels ceux-ci accumulaient.