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gardes nationaux qui les invitèrent à se conduire en braves militaires, s’ils voulaient recueillir les sympathies des habitans. Les gardes nationaux regagnèrent ensuite leurs demeures; mais, avant de les laisser se séparer, M. de Borel les harangua, et, entouré de MM. Rivière, Jourdan-Combettes, de Retz, Charrier et autres, leur fit prêter le serment de n’obéir qu’au roi.

Ces incidens avaient excité outre mesure des passions violentes et contraires. Dans la soirée, les soldats se répandirent dans la ville sous la conduite d’un lieutenant de gendarmerie qui protestait à sa manière contre l’attitude de son chef; ils s’arrêtèrent dans une auberge, y burent démesurément et parcoururent avinés les boulevards et les rues, en chantant des refrains patriotiques dans lesquels la population n’était que trop disposée à voir une injure à ses sentimens. Un piquet de garde nationale arrêta deux des perturbateurs. Toutefois, après un court séjour au corps de garde, elle les ramena à leur caserne. La nuit s’acheva sans incidens.

Le lendemain était un dimanche. Dès la première heure, l’évêque constitutionnel, celui qui occupait, au grand scandale des fidèles, le siège de Mgr de Castellane, envoya quatre vicaires inviter les trois compagnies à la messe épiscopale. Sans prendre les ordres de leurs officiers, elles s’y rendirent en corps, tandis que la garde nationale indignée affectait d’aller par petits groupes entendre l’office que des prêtres réfractaires célébraient au même moment dans diverses maisons de la ville. La sortie des deux cérémonies fut tumultueuse. Un conflit devenait inévitable. Il n’éclata cependant que dans l’après-midi. Des grenadiers qui parcouraient les rues en chantant furent assaillis par des gardes nationaux. Ils tirèrent leur sabre; on leur répondit par des coups de fusil; trois d’entre eux furent blessés, un quatrième, nommé Blaise Petit, tomba mort. Les hostilités s’arrêtèrent ensuite; mais jusqu’au lendemain on veilla des deux côtés sans déposer les armes.

Pendant ce temps, la municipalité et le directoire du département, réunis à la mairie avec l’état-major de la garde nationale, le capitaine commandant la troupe de ligne et le lieutenant-colonel de la gendarmerie Jossinet, délibéraient sur les moyens de couper court à ces faits de guerre civile. La municipalité et la garde nationale exigeaient le départ immédiat de la troupe, dont le commandant, M. de Lourmel, appuyé par le directoire, résistait et déclarait vouloir attendre les ordres de ses chefs. Vers cinq heures du matin, la délibération durait encore sans avoir fait un pas. Alors M. de Borel, ouvrant une croisée, appela M. de Lourmel et lui montrant la place qui s’étendait devant eux : « Voyez si vous pouvez résister, » lui dit-il.

Dans la lumière grise du matin, on apercevait cinq cents gardes