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Des émissaires furent envoyés dans toutes les communes dont le zèle était éprouvé. On enjoignit aux paysans de s’armer de fusils, de faulx et de fourches et d’être prêts à accourir au premier appel. Depuis trois mois, de nombreux conciliabules tenus dans une maison royaliste, chez Mme de Mirandol, auxquels assistaient des personnages étrangers et inconnus, avaient préparé et facilité l’accomplissement de ces mesures sans que les autorités s’en fussent émues.

Il ne semble pas d’ailleurs que les conjurés eussent pris des précautions pour tirer promptement parti de leur victoire, si la fortune des armes la leur donnait. Il n’est pas interdit de supposer qu’ils auraient alors adressé un appel aux royalistes du Midi, à ceux d’Arles notamment, desquels ils recevaient des fusils, de l’argent, et pour tout dire, le meilleur de leurs ressources. Mais ce qui est incontestable, c’est qu’ils se lançaient isolément et par conséquent imprudemment dans cette aventure, moins préoccupés de remporter le succès final que d’empêcher les gens de Jalès d’en avoir l’initiative et le mérite. Jamais imprudence plus coupable ne fut servie par de plus énergiques résolutions. Jusqu’au dernier moment, les officiers de la garde nationale s’efforcèrent d’empêcher ou de retarder l’arrivée des troupes. Ils durent enfin se résigner le 25 février; ce jour-là, les trois compagnies du régiment de Lyonnais, envoyées, sur les sollicitations du directoire et de Chateauneuf-Randon, par le général d’Albignac commandant à Nîmes, se présentèrent aux abords de la ville, après une longue et pénible marche à travers les montagnes qui la dominent de tous les côtés.

Trois jours avant, la garde nationale s’était réorganisée et placée sous l’autorité de M. de Borel et de ses amis, pour la plupart anciens militaires et chevaliers de Saint-Louis. Aussi, quoique les récits royalistes aient mis les premiers torts du côté des arrivans, il est permis de penser que l’accueil qui leur fut fait n’était pas de nature à les disposer à la conciliation. Le caractère contradictoire des documens officiels ne laisse pas à l’historien la possibilité de préciser les responsabilités. Ce qui se dégage de ces récits confus, c’est que la troupe de ligne, malgré les efforts de son chef, M. de Lourmel, se présenta très excitée contre une population qu’elle considérait comme dévouée à la contre-révolution. Elle entra dans la ville aux cris de : « Vive la nation ! » La garde nationale l’attendait rangée en bataille et répondit en criant à plusieurs reprises : «Vive le roi! » Il y eut un moment de confusion, une poussée des deux troupes l’une vers l’autre. Dans ce mouvement, la ligne fut enveloppée par la garde nationale et crut qu’on en voulait à ses jours. Aucun conflit n’éclata cependant; les soldats entrèrent sans encombre dans leur caserne, escortés par des gendarmes et des