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absolus et hautains. C’est la condition de leur influence sur les imaginations.

Certes, l’école théocratique existait lorsque parut Lamennais. La réaction contre la philosophie du XVIIIe siècle et contre l’œuvre capitale de la révolution, la sécularisation de la France, avait fait renaître chez Joseph de Maistre et de Bonald cette théorie déjà ancienne, que la société civile et la société religieuse doivent être liées par des nœuds indissolubles, de manière que l’état et le catholicisme soient incorporés et que le sacerdoce soit en définitive l’arbitre suprême de toute chose. On sait avec quel éclat, avec quelle puissance et souvent quelle supériorité de forme, ces idées avaient été exposées et soutenues. L’originalité de Lamennais, ce qui le sépare de ses deux précurseurs, c’est qu’il fut plus ultramontain que Bonald et moins monarchiste que Joseph de Maistre. Bonald disait que le pape n’était pas le roi de la société religieuse ; qu’il n’en était que le connétable ; qu’il y avait au-dessus de lui une autorité extérieure, celle du concile général. Lamennais allait plus loin.

La déclaration de 1682, avec ses deux articles essentiels, consacrant l’indépendance de la souveraineté temporelle et la supériorité des conciles généraux sur le pape, tel fut l’ennemi que le rude Breton cribla sans cesse de ses coups.

Le gallicanisme n’était plus de taille à résister à un pareil athlète. Il comptait plus d’adhérens parmi les laïques qu’au sein du clergé catholique. Les vieux prêtres et les évêques revenant de l’émigration avaient sans doute gardé les traditions de l’ancienne église de France, dans laquelle ils avaient été élevés ; mais le nouveau clergé, ces jeunes abbés qui étaient entrés dans les ordres sous la restauration, étaient animés d’un tout autre esprit. La révolution à leurs yeux avait modifié les relations de l’église et de l’état. Une union intime et étroite avec le saint-siège était désormais pour eux une nécessité, et une complète liberté d’action devait être rendue au catholicisme. La charte l’ayant proclamé religion de l’état, les prérogatives découlant de ce titre ne pouvaient lui être refusées. On reconnaissait l’influence des écrits de l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg. C’est à ce public, préparé déjà, que s’adressèrent les premiers livres de Lamennais, c’est ce public qu’il passionna, transforma, et qui ne l’abandonna qu’aux heures où, dans son obstination et sa colère, il rompit violemment avec l’enfant qu’il avait élevé.

Pour résister à un si redoutable assaut, les maximes gallicanes, au lieu des parlemens, avaient en face une magistrature imprégnée sans doute de respect pour elles, mais se renouvelant par des choix au gré des influences de cour, et ne pouvant plus longtemps garder l’esprit de corps. Au lieu de Bossuet dans l’épiscopat, elles