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REVUE DES DEUX MONDES.

Canovas del Castillo a donné sa démission, et aussitôt, en quelques heures, comme pour mieux prouver que tout était prévu, il y a eu un ministère de l’opposition libérale dynastique formé sous la présidence de M. Sagasta, avec le général Martinez Campos, le marquis de la Vega y Armijo, M. Alonzo Martinez, M. Venancio Gonzalez, M. Léon y Castillo, M. Albareda.

Rien de plus simple, sans doute, qu’une évolution faisant passer le pouvoir d’un ministère conservateur qui se disait libéral à un ministère qui se dit plus libéral sans cesser de prétendre être, lui aussi, conservateur. C’est le jeu ordinaire des pays constitutionnels, et dans l’intérêt de l’avenir au-delà des Pyrénées, il n’est peut-être pas mauvais que le pouvoir n’ait pas l’air de s’immobiliser, que les divers partis réguliers puissent passer tour à tour au gouvernement sans se croire indéfiniment ou systématiquement exclus. L’inconvénient de ce qui vient de se passer à Madrid, c’est qu’un tel changement se soit accompli en dehors de toutes les conditions parlementaires et que la conséquence immédiate de l’avènement d’un nouveau ministère ait dû être nécessairement la dissolution des chambres. C’est le premier acte du cabinet de M. Sagasta, qui ne paraît pas même avoir songé un instant à s’assurer du degré de concours ou d’hostilité qu’il trouverait dans les cortès. Le décret de dissolution a été porté aux chambres sans plus d’explication et sans plus de retard. C’est un vieil usage au-delà des Pyrénées : chaque ministère veut avoir son parlement. Les élections ne se feront pas maintenant avant quelques mois. D’ici là quelle sera la politique du gouvernement du roi Alphonse ? C’est une expérience nouvelle qui s’ouvre. Le cabinet de M. Sagasta se trouve évidemment dans des conditions difficiles, entre les conservateurs, qui ne sont pas sans doute disposés à désarmer, et les partis avancés, qui ne lui prêteront un certain appui de complaisance qu’au prix de concessions peut-être dangereuses. Quant à la politique extérieure, il n’y a point à s’arrêter sérieusement à la signification peu bienveillante pour la France de quelques noms. Le rôle peu amical, assez bizarre, que le nouveau ministre d’état, M. de la Véga y Armijo, a joué il y a quelques années dans son court passage à l’ambassade d’Espagne à Paris, ce rôle est oublié. Tout est changé, et il est à croire que le nouveau ministère libéral qui vient de se former à Madrid est le premier à sentir l’avantage, le prix d’habitudes permanentes d’amitié entre l’Espagne et la France.


CH. DE MAZADE.


Le directeur-gérant : C. BULOZ.