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d’arrêt dans une situation confuse et dangereuse. Ce que M. le ministre des affaires étrangères a dit déjà dans ses dépêches, dans les négociations qu’il a eu l’occasion de suivre, il l’a reproduit à la tribune. Il s’est fait un de voir de restituer aux actes de la diplomatie européenne leur vrai caractère, de fixer une fois de plus la portée et les limites de l’œuvre commune, de désabuser les Grecs, de se replacer lui-même dans l’attitude d’un ministre qui, selon son expression, « aime la Grèce, mais aime encore mieux la France. » On a reproché, on reproche peut-être encore au chef de notre diplomatie d’avoir déserté l’œuvre de ses prédécesseurs, d’avoir trop aisément abandonné cette décision de Berlin qu’on avait eu l’art de placer sous la sanction et la sauvegarde de l’Europe, de laisser dépérir un titre qu’on avait conquis en faveur de la Grèce. Que veut-on qu’il fasse de la décision de la conférence de Berlin ? Qu’en peut-il faire ? Est-ce que la France peut songer sérieusement à exécuter seule, ou même de concert avec quelques autres puissances, ce qui a été décidé, ce qui ne pourrait être réalisé qu’au risque d’une conflagration redoutable ? Est-ce qu’il serait de la dignité de la France, résolue comme elle l’est, comme elle l’a déclaré plus d’une fois, à s’interdire tout acte de « coercition matérielle, » de continuer à encourager les illusions et les ambitions helléniques, de dire aux Grecs qu’ils ont raison, qu’ils ont entre les mains un « titre irréfragable ? » Il y a dans toutes les affaires de ce genre des conditions de mesure et de prévoyance dont on doit se garder de se départir, auxquelles il faut se hâter de revenir dès qu’on s’en est plus ou moins écarté. Que des circonstances puissent survenir où la France, sans s’arrêter à des considérations secondaires, serait appelée à prendre un rôle plus actif avec honneur pour elle, avec profit pour l’Europe elle-même, c’est assurément une perspective qu’aucun patriotisme ne désavoue ; ces circonstances ne sont pas venues pour elle. Il est bien évident qu’elle n’a aucun intérêt pressant, immédiat, à se jeter dans ces mêlées, à s’engager d’action ou de parole pour une rectification plus ou moins favorable des frontières de la Grèce. M. le ministre des affaires étrangères a donc eu raison de résister aux excitations d’une politique peu réfléchie, de mettre tout son rôle à dissiper les équivoques, à tempérer l’ardeur des Grecs, à bien montrer que les sympathies françaises comme les sympathies européennes n’iraient pas au-delà de ce qu’il était possible d’obtenir par des négociations nouvelles, sans raviver de dangereux conflits. Ce n’est plus aujourd’hui l’opinion de M. le ministre des affaires étrangères seul, c’est l’opinion du parlement tout entier exprimée et résumée dans un ordre du jour qui a eu un vote à peu près unanime.

Et maintenant où en est la question elle-même ? Peut-être les manifestations qui se sont produites non-seulement en France, mais dans