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Mais, dans la Princesse de Bagdad comme dans l’Étrangère, il semble que désormais cette puissance s’exerce avide, sur des fantômes, sur des abstractions, sur des êtres de raison enfin, dont ni toute l’habileté technique de l’auteur, ni l’art merveilleux des interprètes, ni même enfin le réalisme de la mise en scène, pour que M. Perrin ait sa part d’éloges, ne parviennent à nous dissimuler le néant. Savez-vous quels sont les seuls personnages qui vivent dans cette Princesse de Bagdad ? Ce sont les deux amis de club, Godler et Trévelé. Ceux-là, M. Dumas les a rencontrés, il les connaît, il les a vus et non pas seulement imaginés, et les ayant rencontrés, en quatre coups de crayon il les a eus fixés. Quelqu’un a raconté que, comme il félicitait M. Dumas, au lendemain de la brillante reprise d’un Père prodigue, et qu’il louait surtout le premier acte, en effet si vivant et si vrai jusque dans les moindres détails : « Ah ! c’est qu’il y a de fiers dessous ! » lui répondit l’auteur. Ce sont ces dessous qui manquent aux dernières pièces de M. Dumas. M. Dumas n’invente plus, il combine, ce n’est pas tout à fait la même chose. Il construit en dehors et au-dessus, pour ainsi dire, de la réalité présente. Mais il le sait, et grande est l’injustice de le traiter comme s’il ne le savait pas.

Et maintenant, parce que la tentative de M. Dumas jusqu’à présent n’a pas réussi, — car je crains qu’il ne se fasse à lui-même quelque illusion sur l’Etrangère, — est-ce à dire qu’il faille la condamner ? Non certes. Et comme il y a des tentatives que le succès ne saurait absoudre, il y a des entreprises qu’il n’est jamais inglorieux d’avoir tentées, et dont l’insuccès ne démontre nullement l’illégitimité. N’est-ce pas encore ce que l’on oublie, quand on parle de M. Dumas ? et fait-on bien assez d’attention, qu’indépendamment, et en plus de ce que nous venons de dire, il y a dans ses dernières œuvres un effort visible pour renouveler certaines parties de l’art dramatique lui-même ? J’ajoute, puisqu’il s’agit de théâtre, que ces sortes de tentatives hardies sur l’avenir, vous ne voudriez pas apparemment laisser le soin de les risque-à quelque débutant, tout nouveau venu dans l’art, et qui n’y aurait d’autres titres que l’impatiente audace de son jeune âge et l’heureuse ignorance des difficultés du métier.

Sans doute, c’est un bien grand mot, et bien ambitieux, que celui de réforme et de révolution. Songez un peu comme il faut qu’il soit ambitieux, puisque M. Zola lui-même en a décliné l’honneur, et, du haut de sa tête, proteste qu’il n’a jamais été le chef d’aucune réforme, ce qui est vrai, ni seulement voulu l’être, ce qui est moins vrai. Je ne mets pas ici son nom sans avoir mes raisons. C’est que, depuis quelques années, la vivacité même des controverses engagées sur ces questions littéraires suffit à dénoncer que nous traversons une crise, comme l’intérêt que le public y semble prendre parfois témoigne qu’il voudrait du nouveau. C’est