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Saint-Sulpice, au bas des images de piété : Au ciel on se reconnaît ! Elle parle du roi, son père : « Qui sait ? après avoir été si puissant sur la terre, il n’aura peut-être que moi au ciel ; il faut bien que je garde quelque chose pour me faire reconnaître, — là haut, — puisqu’il n’a pas pu me reconnaître ici-bas. » Cependant, tout en devenant mystique, et mystique jusque-là que des catholiques, très naïfs, à moins qu’ils ne se crussent très habiles, au temps de l’Homme-Femme, ont failli célébrer la conversion de M. Dumas, de quoi j’imagine qu’ils auront rappelé, depuis la Question du divorce, il a gardé sa façon de dire, — primesautière en sa recherche, audacieuse, incisive, coupante, — et c’est ce qui continue de faire illusion à quelques-uns sur la direction qu’il a prise. Mais il ne se sert plus aujourd’hui des moyens de théâtre que selon le besoin qu’il en a pour réaliser ses abstractions mystiques, quand la brochure ou le livre ne lui suffisent plus, et qu’il croit de voir donner à ses symboles un corps, une figure à ses allégories.

Parmi ces idées, il en est deux au moins que vous reconnaîtrez dans la Princesse de Bagdad, ne fût-ce que pour les avoir vues passer dans l’Etrangère. L’une, qu’il a voulu précisément incarner dans son homme quarante fois millionnaire, c’est une espèce d’admiration pour le pouvoir corrupteur de l’argent, « la première puissance du monde, » comme on l’appelait dans l’Etrangère, le « tentateur de l’heure présente, » comme on l’appelle dans la Princesse de Bagdad. Il s’y mêle un peu d’effroi. L’autre idée, sentiment plutôt qu’idée, comme je tâche à le marquer dans les termes mêmes que j’emploie, c’est une adoration, compensée de beaucoup de terreur, pour l’influence de la femme : « Quand les femmes auront conscience de leur force et de leur pouvoir, l’homme sera bien peu de chose. » Il deviendra, selon le mot même de M. Dumas, l’imbécile que vous représente ici le comte Jean de Hun. Et le principal personnage, à ce propos, Lionnette, cette créature « née d’un désir et d’une corruption, » comme l’Étrangère était née d’une remarque, » effet connu, que M. Dumas eût sagement évité, la fille de Mlle Duranton et du roi de Bagdad, que représente-t-elle ? Rien que je puisse préciser, ni rien, à ce que je crains, que puisse préciser M. Dumas lui-même.

Cela vient, ici et ailleurs, de ce que justement les idées de M. Dumas sont moins des idées que des sentimens. Il craint, et il sait ce qu’il craint : il ne sait pas sous quelle forme il craint. Il craint cet énorme pouvoir qu’en effet l’argent a conquis dans le temps où nous sommes, et je crois qu’il a raison de le craindre, mais sous quelle forme le craint-il et de quel côté voit-il venir l’ennemi ? Serait-ce vraiment du côté de Vienne ? et sous les traits de M. Nourvady ? Serait-ce du côté de l’Amérique ? et sous l’espèce de Mrs Clarkson ? Quels sont les effets qu’il en redoute ? Est-ce avec les uns l’asservissement d’un