Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

invité quelques personnes de La Châtre, et nous avons fait cent mille folies, comme de nous déguiser le soir en paysans et si bien que nous ne nous reconnaissions pas les uns les autres. Mme Duplessis était charmante en cotillon rouge. Ursule, en blouse bleue et en grand chapiau, était un fort drôle de galopin. Casimir, en mendiant, a reçu des sous qui lui ont été donnés de très bonne foi. Stéphane, que vous connaissez, je crois, était en paysan requinqué, et, faisant semblant d’être gris, a été coudoyer et apostropher notre sous-préfet, qui est un agréable et qui était au moment de s’en aller quand il nous a tous reconnus. Enfin la soirée a été très bouffonne et vous aurait divertie, je gage ; peut-être auriez-vous été tentée de prendre aussi le bavolet, et je parie qu’il n’y aurait pas d’yeux noirs qui vous le disputassent encore.

Comptez-vous retourner bientôt à Paris, chère maman, et êtes-vous toujours contente du séjour de Charleville ? Embrassez bien ma sœur pour moi ainsi que le cher petit Oscar. Casimir vous présente ses tendres hommages, et moi je vous prie de penser un peu à nous quand le printems reviendra. Donnez-nous de vos nouvelles, chère maman et recevez mes embrassemens.


A Madame Dupin.


Nohant, 9 octobre 1826.

Pardonnez-moi, ma chère petite maman, d’avoir été si longue à vous remercier des peines que vous avez prises pour moi. J’ai été si occupée, si dérangée, et vous êtes si bonne et si indulgente, que j’espère ma grâce. Vous avez bien voulu courir pour vous occuper de ma toilette et de celle de Maurice. Ces emplettes étaient charmantes et font l’admiration d’un chacun dans le pays. Pour la parure d’or mat, je nomme Casimir pour l’aimable présent, et vous pour le bon goût. Il m’a empêché jusqu’à présent de vous écrire, disant qu’il voulait s’en charger. Mais ses vendanges l’occupent à tel point que je me fais l’interprète de sa reconnaissance, c’est un sentiment que nous pouvons bien avoir en commun. Agréez-la et croyez-la bien sincère, Vous nous avez mandé que vous étiez souffrante d’un rhume. Je crains que le froid piquant qui commence à se faire sentir ne contribue pas à le guérir. J’en souffre bien aussi et je commence l’hyver par des douleurs et des rhumatismes. Pour éviter pourtant d’être aussi maltraitée que l’année dernière, je me couvre de flanelle, gilet, caleçons, bas de laine. Je suis comme un capucin (à la saleté près) sous un cilice. Je commence à m’en trouver bien et à ne plus sentir ce froid qui me glaçait jusqu’aux os et me rendait toute triste. Ayez aussi bien soin de vous, ma chère maman, à mon tour je vais vous prêcher.