Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/953

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tomber les blocs de houille par un procédé rapide, surtout quand ils sont tassés et durs ; l’emploi seul du pic retarderait outre mesure l’exploitation ; on se voit contraint de faire, sauter les roches par des mines qu’on charge de poudre et qu’on allume comme on le ferait à l’air libre. Il paraît bien étonnant que d’une part on s’entoure de tant de précautions pour l’éclairage, et que de L’autre on ne craigne pas de développer tout à coup des flammes bien autrement dangereuses, étant à une température plus élevée, dans des endroits retirés, où l’aérage pénètre difficilement, produisant un choc subit qui fait sortir les flammes du treillis métallique, soulevant tout à coup des nuages de poussière, ouvrant quelquefois des soufflards jusque-là bouchés, réunissant enfin les conditions les plus désastreuses. Aussi la commission du grisou prend soin de fixer sur ce point l’attention des ingénieurs, faisant appel à la prudence et prescrivant les plus minutieuses précautions : constater à l’avance l’absence du grisou, surtout au toit, ne tirer qu’avec la permission du maître mineur, avoir comme en Angleterre des agens spéciaux et éprouvés (firemen), etc. Ce sont là des conseils qui, pour être sages, n’en sont pas moins très vagues. Ils signifient que le tirage à poudre est une pratique téméraire, que l’on ne veut ou qu’on ne peut pas l’abandonner, et qu’on n’a aucun moyen sérieux d’en éviter les dangers. Aussi les accidens se multiplient ; j’en vais citer deux, non les plus cruels, mais choisis parmi ceux dont la cause a été le mieux constatée : le premier, qui fit 41 victimes, a été déterminé par l’imprudence d’un ouvrier entêté. C’était le 8 novembre 1872, à Blanzy, au puits Sainte-Eugénie. Un ouvrier, nommé Mougenot, travaillait seul dans un quartier qui présentait des failles, lesquelles facilitaient de temps à autre un léger dégagement de grisou. Tout tirage à poudre avait été formellement interdit, et Mougenot en avait reçu spécialement la défense à cinq heures du matin de la part du maître mineur qui lui indiquait son chantier, et à huit heures et demie, de la bouche d’un sous-chef. Saulnier, chef du poste, vint vers lui une demi-heure avant l’accident, et le dialogue : suivant. s’établit entre eux : « Chef, laissez-moi tirer un coup de mine, mon havage est fait. — Non, je ne le veux pas, ton charbon est tendre. C’est expressément défendu, et tu ne le feras pas, quoique je vienne de voir qu’il n’y a pas de grisou dans la galerie. » Saulnier s’éloigne ; après cette défense formelle et pendant qu’il causait avec un mineur dans une autre galerie, il entend une détonation : « C’est Mougenot qui vient de faire le coup, s’écrie-t-il ; sauvons-nous. » On retrouva le cadavre de Mougenot au milieu de ses outils dispersés ; on vit la trace du coup de mine