Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

retour. Sans ma mauvaise toux qui ne me laissait pas dormir, je me serais assez bien portée. Merci mille fois de vos bons avis à cet égard, mais ne me grondez pas de ne pas les avoir suivis très exactement. Vous savez que je suis un peu incrédule et puis un peu médecin moi-même, non par théorie, mais par pratique. Je n’ai jamais vu de remèdes efficaces aux maux de poitrine, la nature fait toutes les guérisons quand elle s’en mêle et l’honneur en est à l’esculape qui ne s’en est pas mêlé. Je sais bien que ces messieurs n’en conviendront jamais. Comment un médecin avouerait-il sa nullité ? Ce ne serait pas adroit. S’ils faisaient comme moi la médecine gratis, ils seraient de bonne foi, peut-être encore l’amour-propre serait-il là pour les en empêcher.

Tant y a que sans remède et sans docteur, sans me noyer l’estomach de boissons qui ne vont pas dans la poitrine, je ne tousse plus, c’est l’important. J’ai bien toujours des douleurs et par surcroît une fluxion de chaque côté du visage dans ce moment-ci. Mais le printems, s’il veut se dépêcher de venir, mettra ordre aux affaires.

Je vous dirai, chère maman, que si vous étiez venue passer le carnaval ici, vous ne vous seriez pas du tout ennuyée. Nous avons des bals charmans et nous passons des deux et trois nuits par semaine à danser ; ce n’est pas ce qui me repose ni même ce qui m’amuse le mieux, mais il y a des obligations dans la vie qu’il faut prendre comme elles viennent. Dernièrement nous sommes sortis d’un bal chez Mme Duvernet à neuf heures du matin. N’êtes-vous pas émerveillée d’une dissipation pareille ? Aussi le Jubilé, traversé par tant de fêtes, n’en finit-il pas. J’espère que dans deux ou trois ans nous n’en entendrons plus parler. En attendant, le curé prêche tous les dimanches matin contre le bal, et tous les dimanches soir on danse tant qu’on peut.

Quand je parle de curé grognon, vous entendez bien que ce n’est pas celui de Saint-Chartier que je veux dire. Tout au contraire, celui-là est si bon que, s’il avait quelque soixante ans de moins, je le ferais danser si je m’en mêlais. Il est venu ici faire deux mariages dans un jour. Celui d’André, avec une jeune fille que vous ne connaissez pas et qui rentrera à notre service à la Saint-Jean et celui de Fanchon, sœur d’André et bonne de Maurice, avec la coqueluche du pays, le beau cantonnier Sylvinot, dont vous ne vous rappelez sans doute en aucune manière malgré ses succès. La noce s’est faite dans nos remises, on mangeait dans l’une, on dansait dans l’autre. C’était d’un luxe que vous pouvez imaginer. Trois bouts de chandelle pour illumination, force piquette pour rafraîchissemens, orchestre composé d’une vielle et d’une cornemuse, la plus criarde, par conséquent la plus goûtée du pays. Nous avions