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pression incomparablement plus grande et qu’il est impossible d’évaluer exactement. On l’a supposée au moins égale à seize atmosphères : elle est certainement plus grande. Cette énorme pression sépare les lamelles et pousse les gîtes de houille vers les surfaces d’abatage ; les fronts de taille se gonflent, se gauchissent, se brisent et tombent dans les chantiers en s’exfoliant ; il faut les maintenir par des étais de bois ou boisages, quelquefois par des maçonneries, et celles-ci ne suffisent pas toujours pour contre-balancer l’énorme poussée intérieure. On a vu, à la mine de Boubier, près de Charleroi, un éboulement de 40 mètres cubes de charbon occasionné par l’effort du grisou. Au reste, les ouvriers connaissent si bien ces circonstances qu’ils s’arrangent de manière à en profiter et à se faire aider par la poussée de leur mortel ennemi.

D’autres praticiens soutiennent une opinion différente, et particulièrement M. Arnould, ingénieur principal à Mons, dont nous aurons souvent à citer les beaux travaux. On soutient que le grisou n’existe pas dans la houille, mais qu’elle contient un liquide oléagineux, ou même un solide, lequel s’évapore ou se décompose et donne naissance au grisou. Pour justifier cette opinion, on s’appuie sur des observations intéressantes. Immédiatement après l’abatage, le charbon présente à sa surface un aspect gras et luisant qu’il perd aussitôt ; il avait des propriétés agglutinatives qu’il ne conserve pas après son exposition à l’air ; enfin on a cru reconnaître une huile très volatile dans les cellules intérieures. On cite encore les faits suivans : bien que le ga, z des marais ne soit point soluble dans l’eau, les liquides qu’on extrait des mines contiennent quelquefois une grande quantité de matières inflammables et volatiles qui s’en dégagent et brûlent quand on les amène à la surface du sol. En 1870, M. Chanselle, alors ingénieur des houillères de Saint-Etienne, faisait épurer une masse d’eau qui avait envahi la mine et s’y était accumulée jusqu’à une hauteur de 17 mètres ; quand on arriva aux dernières couches, l’eau contenait assez de grisou pour prendre feu et donner une grande flamme analogue à celle du punch quand on l’agite. D’autres fois on a remarqué que les boues extraites des puits se mettaient à bouillir et à dégager des torrens de gaz qu’on pouvait allumer et qui donnaient des flammes de 0m,50 de hauteur.

Il faut convenir que tout cela est vague, que ce sont des hypothèses, et dans les sciences les hypothèses ne comptent plus. Pour faire admettre un grisou liquide, il faudrait le montrer, et ce gaz est justement l’un de ceux qui ont, jusqu’à présent, résisté aux efforts de la pression. Non, le grisou n’est pas liquéfié, il existe dans la houille, il y est comprimé, il y a un ressort énorme que tous les faits et que de nombreux malheurs ont surabondamment