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Pologne, le prince Tcherkasski, n’avait pas voulu servir sous le successeur de son ami ; il était revenu à Moscou, qui devait l’élire comme maire et où, à côté de Samarine, il devait prendre une part active aux modestes et utiles fonctions de la douma et du zemstvo[1]. A l’exemple de Tcherkasski, les plus distingués des volontaires qui s’étaient associés à l’œuvre de Milutine, tels que M. Kochelef, donnèrent leur démission. La Pologne semble n’y avoir rien gagné.

Milutine mourut à Moscou en janvier 1872. Ses deux illustres compagnons, Samarine et Tcherkasski, ne lui survécurent pas de longues années. Le premier fut enlevé en quelques jours, en 1875, dans une maison de santé des environs de Berlin, où il comptait passer quelques semaines. Le prince Tcherkasski était alors à Paris, et j’ai été témoin de la vivacité de son chagrin en apprenant à l’improviste la mort de son ami. Le prince Vladimir devait suivre de près son camarade de jeunesse et tomber, lui aussi, en terre étrangère, loin des siens, à peine âgé de cinquante-quatre ans.

On sait que Tcherkasski était sorti de la retraite, lors de la guerre d’Orient, pour accepter l’ingrate mission d’organiser les contrées bulgares, émancipées par les troupes du tsar. Ce n’est pas ici le lieu de raconter les difficultés et les déboires que lui donnèrent les alternatives de succès et de revers des armes russes, l’apathie ou les résistances des Bulgares, les fautes ou les contradictions du commandement militaire, les attaques ou les insinuations d’une presse, peut-être trop prompte au blâme comme à l’éloge. Assailli de tracas de toute sorte, rendu par l’opinion responsable de mécomptes dont la faute était avant tout aux circonstances, pliant sous le double faix du travail et des contrariétés, Tcherkasski disparut de la scène au moment où, grâce à la paix, le rôle qu’il avait accepté en Bulgarie allait devenir plus facile. Pris de fièvre à Andrinople, il voulut, malgré la défense des médecins, se transporter à San-Stéfano, au quartier-général russe, où l’on allait négocier la paix dont dépendait l’avenir de la Bulgarie[2]. Comme Milutine, il refusait de renoncer au travail, et ressaisi par le mal dont il croyait avoir triomphé à force de volonté, il rendit le dernier soupir aux bords de la mer de Marmara, en février 1878, le jour de la signature du traité de San-Stefano, à la rédaction duquel il semble n’avoir guère moins contribué que le général Ignatief.

Les Russes et tous les Slaves en général passent pour avoir plus de flexibilité que d’énergie ; ils ont la réputation d’être changeans, légers, prompts au découragement comme à l’engouement. Les Russes sont accusés de manquer de personnalité, de volonté, de

  1. Conseil municipal et conseil provincial.
  2. Voy. Kniaz V. A. Tcherkasski ; Ego statii, ego rétchi i vospominaniia o nem (Moscou, 1879), p. 360-367.