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pratique à oublier leur rôle d’arbitre, à se prêter trop aveuglément aux revendications du paysan, à renchérir au profit de ce dernier sur les instructions de leurs chefs, à outre-passer les ukases. De là, dans l’application de ces lois, des inégalités et des excès, Aussi voyons-nous parfois, dans leur correspondance, Milutine et Tcherkasski obligés de réprimer le zèle de certains de leurs commissaires et de mettre de côté ceux de leurs agens qui se permettaient trop d’arbitraire[1]. Milutine et même Tcherkasski, loin d’agir toujours systématiquement d’une manière hostile aux propriétaires, désiraient en toute sincérité faire strictement appliquer les ukases sans en dévier en aucun sens. Au milieu de toutes les plaintes dont ils étaient assiégés par les deux parties, ils se félicitaient lorsqu’un même cas provoquait à la fois les réclamations des paysans et des propriétaires. A leurs yeux, cela était la meilleure preuve de l’équité et de l’impartialité de la sentence de leurs commissions. Tcherkasski aimait à se rappeler que pareille chose lui arrivait en Russie quand il était arbitre de paix[2].

Les plus justes plaintes que peuvent élever les propriétaires polonais, plaintes malheureusement trop fondées et durables, c’est qu’au lieu d’achever la grande liquidation de 1864 entre le paysan et le noble, les commissaires russes l’ont tenue systématiquement ouverte aux dépens des intéressés. A l’opposé de ce qui s’est fait en Russie, le paysan polonais a gardé sur les forêts, sur les champs ou les pâturages de son ancien propriétaire, les droits d’usage dont il jouissait alors qu’il était soumis à la corvée. Ces servitudes grèvent lourdement les terres de la noblesse, d’autant plus qu’elles sont mal définies ou qu’elles ont été réglées, de telle façon qu’en les prenant a la lettre, tous les bois des propriétaires n’y sauraient parfois suffire[3]. On comprend que les Polonais désirent

  1. « A mon avis, écrivait Tcherkasski à Milutine alors de retour à Pétersbourg, les commissions rurales vont bien, fort bien même, excepté dans le district d’Ostroleka, où W. a pris le mors aux dents, ordonne lui-même l’arrestation des propriétaires indociles, fait le maître aussi bien dans les villes que dans les villages, en un mot, parodie sottement Michel Mouravief en Lithuanie. Il faut absolument renvoyer et dissoudre toute cette commission pour la (remplacer par des hommes plus raisonnables. (Lettre du 7/10 mai 1864.) Si tous les commissaires accusés de jouer ainsi au dictateur n’ont pas été rappelés, cela tient en partie à ce que, dans ses luttes avec le vice-roi, avec l’administration civile et militaire, Tcherkasski était naturellement porté à prendre fait et cause pour ces commissions.
  2. « Nous avons reçu les deux premières plaintes du district de Varsovie. Les propriétaires, et les paysans se plaignent simultanément d’une seule et même décision. Cette décision est équitable cependant et mo parait fondée sur des données solides. Aussi cette double réclamation me trouble-t-elle peu. J’y vois la meilleure preuve de l’impartialité de la commission. Nous recevions aussi des plaintes des deux parties dans les premiers temps de l’émancipation. » (Lettre de Tcherkasski à Milutine du 2/14 mai 1865.)
  3. Je pourrais citer, comme exemple, une forêt du majorat du comte Zamolski.