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en observant les mêmes précautions, avec cette différence seulement que tu ordonneras qu’on ferme la porte de fer un mois après ta mort, afin que nous restions seuls ensemble. Prends bien garde à qui tu te confieras pour exécuter tes dernières volontés. Afin que nous ne soyons pas séparés, il faudra substituer Saint-Ouen, pour qu’il ne soit jamais vendu. Si tu voulois préférer ta terre de Suisse et y faire transporter mes cendres dans un tombeau pareil à celui que je viens de décrire, je ne m’y oppose point, mais souviens-toi que nous devons être unis sur la terre et dans le ciel, et exécute mes dernières volontés. Ce cœur, qui fut à toi et qui bat encore pour toi, mérite que tu respectes ses deux faiblesses : la crainte d’être ensevelie sans être morte et celle d’être séparée de toi.


Cependant plusieurs mois d’un repos absolu, un séjour à Montpellier, dont le souvenir était demeuré particulièrement cher à son cœur parce qu’elle y avait réuni l’ami de sa jeunesse et l’ami de son choix, Moultou et Thomas, les soins d’un praticien alors célèbre, le docteur Lamurre, finirent par rétablir Mme Necker et par lui rendre une apparence de santé. Mais cette amélioration passagère ne devait pas résister à l’épreuve des émotions qui marquèrent pour elle le second ministère de son mari. Par l’impression que lui avaient causée autrefois les misérables attaques de Bourboulon, on peut mesurer ce que lui firent souffrir les injures, les calomnies, les violences auxquelles M. Necker fut en butte pendant dix-huit mois. Aussi arriva-t-elle à Coppet déjà gravement atteinte, et au lendemain de son arrivée une première crise mit ses jours en danger. Elle y échappa cependant, et un espoir trompeur put s’emparer de ceux qui l’entouraient, mais cet espoir ne la déçut pas longtemps elle-même. D’ailleurs les précautions minutieusement prises par elle pour assurer le respect de ses dernières volontés dans ce que leur exécution pouvait avoir de difficile se trouvaient détruites par cet établissement dans un pays nouveau. Saint-Ouen ne pouvait plus être son tombeau, ni le monument qu’elle avait commandé pour elle et pour son mari s’élever sous les tilleuls du parc. Il fallait s’y reprendre à nouveau, et c’est ce qu’elle fit avec la hâte fiévreuse d’une personne qui sent ses jours comptés, entrant directement en correspondance avec les médecins, avec les architectes, ne reculant devant aucun détail, si pénible pour l’imagination qu’il pût être, et tout cela avec une précision, avec un sang-froid qui remplissaient d’étonnement ceux auxquels elle avait affaire. Son instinct ne la trompait pas, car au commencement de l’année 1792 elle retomba dans un état dont la gravité ne put échapper à personne. L’inquiétude naturelle aux malades lui ayant peut-être fait