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danger de Nathalie (la comtesse Charles de Noailles). Depuis, un des envoyés a écrit à sa femme, le 30 juillet, après la mort de Robespierre : J’espère apporter mes marchandises. Mon ami suisse me dit qu’il me renverra dans trois ou quatre jours mon courrier pour l’intérêt de Charles ; — il devroit être déjà ici, et voilà ce que j’attendois pour vous écrire, mais il n’est point encore venu, et comme la révolution de Robespierre est arrivée dans l’intervalle, j’en conclus qu’on a changé de batteries.

Je ne puis me persuader que nos amies ayent changé d’avis par ce faible rayon d’espoir, une si absurde confiance me mettroit dans la rage du désespoir. Ce n’est pas le moment d’envoyer un nouvel exprès pour instruire des précautions américaines. Mon ami a en ce moment trois envoyés et deux femmes auprès de lui, c’est bien assez. — Je l’ai fait questionner sur le vieil ami ; c’est la seule lettre que je lui aye écrit par la poste ; je l’ai envoyée à Basle et j’ai emprunté une autre main. Il faut donc attendre jusques au retour de l’envoyé pour Charles. — Mais on peut être plus tranquille à présent ; ne pouvant assassiner plus, ils assassineront moins, c’est dans la nature de l’orgueil.

Ne vous reprochez pas, ma chère princesse, de n’être pas ici, je serois plus heureuse, mais mon cœur ne peut pas aimer plus qu’il ne chérit votre ange d’amie. Adieu, adieu, pas un moment ne sera perdu pour vous écrire.


Il fallait cette joie pour éclaircir un moment le ciel sombre de Coppet. Depuis plusieurs mois, en effet, le malheur, qui depuis si longtemps planait sur cette maison, avait fini par fondre sur elle, et la mort, continuant (pour reprendre une expression énergique de Mme de Staël) son train habituel, avait enlevé Mme Necker. Si, comme je le voudrais, le résultat de ces trop longues études a été d’inspirer à mes lecteurs quelque intérêt pour elle, ils me pardonneront de les terminer en revenant sur ses dernières années, et en les faisant assister à ses derniers momens.


III.

Mme Necker avait toujours été d’une complexion délicate, et Tronchin, consulté par M. Necker, n’hésitait pas à faire remonter l’altération de sa santé à l’époque où elle avait perdu sa mère. « La douleur profonde, écrivait-il dans une consultation, que lui causa la perte d’une respectable mère qu’elle aimoit au-delà de toute expression fut l’époque du dérangement de sa santé. Les nuits mêmes se passoient à la pleurer et les momens que la nature destine au sommeil étoient employés à la regretter. » Cette vivacité de sentimens que Mme Necker devait conserver toute sa vie fut la véritable cause de l’épuisement prématuré de ses forces. Dans