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Pendant le procès du roi, chaque jour abreuvoit sa famille d’une nouvelle amertume. Il est sorti deux fois avant la dernière, et la reine, retenue, captive, ne pouvant parvenir à savoir ni la disposition des esprits ni celle de l’assemblée, lui dit trois fois adieu dans les angoisses de la mort. Enfin le jour sans espérance arriva. Celui que les liens du malheur lui rendoient encore plus cher, le protecteur, le garant de son sort et de celui de ses enfans, cet homme, dont le courage et la bonté semblaient avoir doublé de forces et de charme à l’approche de la mort, dit à son épouse, à sa céleste sœur, à ses enfans un éternel a lieu. Cette malheureuse famille voulut s’attacher à ses pas ; leurs cris furent entendus des voisins de leur demeure, et ce fut le père, l’époux infortuné qui se contraignit à les repousser. C’est après ce dernier effort qu’il marcha au supplice, dont sa constance a fait la gloire de la religion et l’exemple de l’univers. Le soir, les portes de la prison ne s’ouvrirent plus, et cet événement, dont le bruit remplissent alors le monde, retomba tout entier sur deux femmes solitaires et malheureuses et qui n’étoient soutenues que par l’attente du même sort que leur frère et leur époux. Nul respect, nulle pitié ne consola leur misère, mais rassemblant tous leurs sentimens au fond de leur cœur, elles surent y nourrir la douleur et la fierté. Cependant, douces et calmes au milieu des outrages, leurs gardiens se virent obligés sans cesse de changer les soldats a pontés pour les garder, On choisissoit avec soin, pour cette fonction, les caractères les plus endurcis, de peur qu’individuellement la reine et sa famille ne reconquissent la nation qu’on vouloit aliéner d’elles.

Depuis l’affreuse époque de la mort du roi, la reine a donné, s’il étoit possible, de nouvelles preuves d’amour à ses enfans. Pendant la maladie de sa fille, il n’est aucun genre de services que sa tendresse inquiète n’ait voulu lui prodiguer. Il sembloit qu’elle eût besoin de contempler sans cesse les objets qui lui restaient encore pour retrouver la force de vivre, et cependant un jour on est venu lui enlever son fils ! Ah ! comment avez-vous osé, dans la fête du 10 août, mettre sur les pierres de la Bastille des inscriptions qui constataient la juste horreur des tourmens qu’on y avoit soufferts ? Les unes peignoient les douleurs d’une longue captivité ; les autres l’isolement, la privation barbare des dernières ressources ; et ne craigniez-vous pas que ces mots : Ils ont enlevé le fils à la mère, ne dévorassent tous les souvenirs dont vous vouliez retracer la mémoire ?


Il est peu probable que, dans l’étroite captivité où la tenaient ses bourreaux, Marie-Antoinette ait eu connaissance de ce plaidoyer écrit en sa faveur par une femme à laquelle elle avait commencé par témoigner quelque intérêt, mais qu’elle avait fini par considérer comme une ennemie. Si cependant les lignes que je viens de citer