Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/870

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps moins agités, s’étaient éprises d’un bel enthousiasmé pour. M. Necker et pour ses réformes. Elle était née de Mauconseil, fille d’un ancien page de Louis XIV et d’une mère dont la beauté avait été distinguée par Louis XV. Elle avait épousé ce prince d’Hénin qu’on appelait, à cause de sa petite taille, « le nain des princes » et qui avait voué à la célèbre comédienne Sophie Arnould une fidélité si singulièrement placée.


Notre tante d’Hénin, dit la vicomtesse de Noailles dans une notice consacrée par elle à sa grand’mère la princesse de Poix[1], avait été belle, à la mode, et, je pense, un peu coquette. Fille unique, très jolie, riche et passablement enfant gâtée, elle resta toute sa vie volontaire, impétueuse, irascible, mais avec tout cela si bonne, si généreuse, si dévouée à ses amis et aux nobles sentimens, et puis si spirituelle, et par suite de son extrême naturel, si parfaitement originale qu’elle excitait constamment l’affection, l’admiration et en même temps la gaîté. Sa réputation fut attaquée en deux occasions, d’abord au sujet du chevalier de Coigny et ensuite du marquis de Lally-Tollendal. La première de ces médisances fut à peine fondée ; la seconde devint respectable, car il s’ensuivit une amitié dévouée qui dura jusqu’à la mort de ma tante, devenue fort pieuse, plusieurs années avant la fin.


Bien que M. de Lally-Tollendal eût sans doute fait passer dans l’âme de son amie quelque chose de la chaleur communicative de son enthousiasme et qu’elle eût applaudi, comme Mme de Staël, aux premiers épisodes de la révolution, cependant la princesse d’Hénin n’avait pas tardé à s’effrayer du train dont marchaient les choses et elle avait été une des premières à se réfugier en Angleterre. C’était de là qu’elle allait concerter ses efforts avec ceux de Mme de Staël pour faire parvenir à ceux de leurs amis qui n’avaient pu encore s’échapper de France, espoir, secours et moyens de délivrance. Grand était assurément le nombre de ceux auxquels pouvait s’adresser leur sollicitude, mais, parmi ces prisonniers, la princesse d’Hénin et Mme de Staël comptaient une amie qui leur était particulièrement chère, c’était la princesse de Poix. La princesse était fille d’un premier mariage du maréchal de Beauvau avec une Bouillon, et belle-fille par conséquent de cette maréchale de Beauvau qui fut pour les Necker une amie si fidèle. Par un de ces

  1. Cette notice qui a été imprimée, mais tirée à un petit nombre d’exemplaires contient de fines observations et de piquans détails sur l’ancienne société française, et sur la renaissance de cette société au retour de l’émigration. Sainte-Beuve, qui en avait eu communication, l’a citée à plusieurs reprises dans ses Causeries du lundi, entre autres dans l’article sur le duc de Lauzun. La vicomtesse de Noailles est elle-même bien connue des lecteurs de la Correspondance de Jean-Jacques Ampère.