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Ne pourrait-on point également inviter quelques-uns, non point de nos sept cent quarante-cinq, mais de nos cinq cent trente députés à méditer ces réflexions sur le caractère éphémère de la popularité ?


Les grands embarras surtout viendront lorsque, tous les genres de pouvoirs une fois réunis entre les mains d’hommes élus par la nation, les représentans du peuple, en possession de toutes les autorités, auront seuls à compter avec lui et ne pourront plus le distraire de ses plaintes en fixant comme aujourd’hui toutes ses pensées sur les ennemis dont il est environné et sur les combats qu’il faut leur livrer. La victoire une fois reconnue, la toute-puissance une fois avouée, ces excuses ne seroient plus admissibles. On charmeroit ce peuple encore quelque temps en le louant, en lui apprenant qu’il s’est levé majestueusement, qu’il a pris une superbe attitude, que l’univers le contemple, que l’univers l’admire. Mais il est un terme aux promesses et aux espérances, car la nature des choses est sourde et muette, et le langage de l’hypocrisie ne peut rien contre elle. On éprouvera donc tôt ou tard qu’il est impossible de faire à vingt-six millions de souverains un sort proportionné à leurs prétentions et à leur dignité ; et lorsqu’ils remarqueront, la plupart, que leur sort n’est point changé, lorsqu’ils s’apercevront que la pluie continue à se glisser dans leurs réduits, que les vents soufflent encore à travers leurs cloisons, que le prix du pain et le tarif des salaires ne sont point dans leur dépendance, ils croiront avoir été trompés ; ils prêteront l’oreille à de nouvelles séductions, et leurs derniers amis, leurs derniers chevaliers, verront comme les autres leur autorité renversée.


Louis XVI était encore sur le trône au moment où parut l’ouvrage de M. Necker, mais la surveillance étroite qui depuis la tentative de Varennes était exercée sur lui, se resserrait chaque jour davantage. M. Necker voulut, dans ces circonstances, faire parvenir au souverain qu’il avait servi avec un dévouaient souvent mal apprécié, un nouvel hommage de ses sentimens, et il lui adressa son ouvrage en l’accompagnant de la lettre suivante :


Je désire avec ardeur que cet ouvrage, absolument nécessaire pour ma défense, obtienne l’approbation de Votre Majesté. Elle y verra quelquefois l’expression des sentimens que je professerai pour sa personne jusqu’à la fin de ma vie. Il n’est aucun instant du jour où mes regards attendris ne se tournent vers le plus vertueux des princes et le plus malheureux des monarques, et je partage tous les détails de sa situation avec la plus profonde douleur.