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les sujets de Leurs Excellences furent tenus de prêter serment de conformité à ce consensus, et que des chambres de religion furent investies du droit de condamner les contrevenais, suivant les cas, au bannissement, à la confiscation des biens, au fouet, à la marque, aux galères ou à la mort[1]. Cette clause d’exclusion a été maintenue dans la législation du pays de Vaud jusqu’à l’époque de la révolution française, et chacun sait qu’elle empêcha Voltaire (un bien pauvre catholique cependant, écrivait-il à Mme d’Épinay), d’acheter une maison à Lausanne. Cependant, lorsque M. Necker fît l’acquisition de Coppet, cette prohibition avait pris une forme un peu différente, et le nouvel acquéreur s’obligeait seulement à ne transférer sa baronnie « à aucun prince, seigneur, ni particulier étranger, sans en avoir obtenu la permission de Leurs Excellences de Berne, à l’exception de ses héritiers légitimes professant la sainte religion réformée. »

Leurs Excellences de Berne intervenaient également dans tous ces contrats à un point de vue beaucoup plus lucratif. C’est ainsi que M. Necker, ayant payé pour l’acquisition du château de Coppet, la somme de 500, 000 livres, argent de France, soit 333, 333 florins 6 sols 4 deniers, argent de Berne, le laud (ce que nous appellerions le droit de mutation), exigé par le gouvernement de Berne, s’élevait à 121, 979 florins, c’est-à-dire à plus du tiers du prix d’achat. En revanche le gouvernement de Berne garantissait à M. Necker la jouissance de toutes les prééminences et dépendances de la baronnie de Coppet, c’est-à-dire d’un certain nombre de droits féodaux qui constituaient une branche importante du revenu de la terre et dont la suppression sans indemnité devait un jour considérablement réduire la fortune de M. Necker. Ces droits, au reste, n’avaient rien d’exorbitant et ils étaient de ceux qu’un ministre libéral de Louis XVI pouvait percevoir sans scrupule : droit de four banal, de pressoir, etc. Ils ne furent supprimés qu’à la fin du siècle, et les plus grands seigneurs de France étaient déjà privés depuis plusieurs années de leurs redevances féodales, que, plus heureux, le baron de Coppet jouissait encore paisiblement des siennes.

Le château acquis par M. Necker était alors comme aujourd’hui un grand bâtiment sans caractère. Ce bâtiment se compose de trois corps de logis qui forment en se repliant une cour intérieure. On ne pénètre dans cette cour qu’en passant sous une voûte et

  1. Voyez Verdeil, Histoire du canton de Vaud. Hâtons-nous de dire qu’aujourd’hui le canton de Vaud s’honore, au contraire, par le caractère tolérant de sa législation religieuse, et accorde en particulier aux catholiques, à la différence d’un canton bien voisin, une liberté qui leur est à la fois assurée par la loi et garantie par les mœurs.