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la petite fille, présentée au baptême par la seigneurie, reçut les noms d’Espérance-Madeleine-Genève.

Un souvenir plus intéressant que celui du baptême de la petite Genève, et qui se rattache également à la possession de Coppet par le comte de Dohna est celui du séjour qu’y fit Bayle, le célèbre auteur du Dictionnaire historique et critique. Très jeune encore (il avait à peine vingt-trois ans) Bayle avait abjuré la religion calviniste, à laquelle appartenait sa famille, puis il l’avait embrassée de nouveau, et ses parens avaient jugé prudent, pour fortifier sa foi chancelante, de l’envoyer à Genève. Mais, à Genève, Bayle trouva la vie fort dispendieuse, et n’ayant pas voulu s’accommoder d’une place de régent de seconde qui lui était offerte parce que, dit-il dans une lettre à son père, « on traite ce genre d’hommes comme les véritables antipodes du vrai mérite et que les railleurs sont perpétuellement déchaînés contre eux, si bien qu’il faut avoir des dents de Saturne pour dévorer cette pierre, » il accepta d’entrer chez le comte de Dohna pour servir de précepteur à ses deux enfans (bien que la position fût, à ce qu’il paraît, peu lucrative), et il vint en cette qualité s’établir à Coppet.

Les occupations de Bayle ne consistaient pas seulement à enseigner aux jeunes comtes le latin, l’histoire, la géographie et même le blason, science dans laquelle il était, de son propre aveu, fort novice ; entre temps, il servait encore de secrétaire au comte de Donna lui-même, soit qu’il tînt la plume pour écrire des lettres insignifiantes, soit que le comte, qui se piquait d’érudition militaire, le chargeât de rechercher dans les auteurs anciens « le véritable nom latin de toutes les charges militaires d’aujourd’hui ; ce qui, ajoutait Bayle dans une lettre datée de Coppet, selon mon petit sens, n’est pas facile à trouver. Car je n’ai pas pris garde qu’ils eussent ce grand attirail d’officiers subalternes qu’on remarque aujourd’hui, et je me trouve fort embarrassé de dire sergent en latin sans circonlocutions. Or, tel est le but de M. le comte. » Il n’y a donc rien d’étonnant que Bayle, peu payé, mais fort occupé, se soit dégoûté de cette situation et qu’après dix-huit mois de séjour, il ait quitté Coppet au mois de mai 1674. Mais ce qui est plus digne de remarque et ce qui peint bien cette indifférence pour la nature qui était le propre du XVIIe siècle, c’est que nulle part, ni dans la correspondance de Bayle, ni dans ses œuvres, on ne trouve un souvenir et comme un reflet de ces années que sa jeunesse avait passées en présence du lac et des montagnes. Parmi les nombreuses lettres écrites par lui de Coppet, il n’y en a pas une seule où il y ait une ligne de description, et qui ne pût être datée de la plus plate contrée de France ou d’Allemagne. Aussi, dans le château même, ne subsiste-t-il aucun souvenir de