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1791 dans l’église Saint-Eustache. Mais, entre temps, il avait offert ses services à M. Necker et remplissait l’office désintéressé, je veux le croire, de tenir Mme Necker au courant des mouvemens de l’opinion publique sur le compte de son mari. Voici en quels termes Cerutti s’exprime dans une de ses lettres à propos de l’homme dont il avait été le collaborateur et dont il devait être le panégyriste :


… N’en doutez pas, madame, l’horrible Mirabeau a été sans cesse à la tête de ces mineurs souterrains. Il les conduisoit dans leurs profondeurs ; il les animoit dans leurs manœuvres ; s’il ne fournissoit pas l’argent, il fournissoit la flamme et le salpêtre. Il auroit voulu faire sauter le trône et la caisse d’escompte et d’abord M. Necker. Dans ma courte et imprudente liaison avec l’énergumène, j’eus une dispute sur M. Necker. Se levant en furie et frappant la cheminée d’un coup de poing effroyable, il me dit : « Je renverserai votre idole à la face de la nation. » Je lui répondis froidement : « Votre coup de poing n’a pas renversé la cheminée, votre fureur ne renversera pas le soutien de la France. » Le forcené étinceloit de rage, son front livide étoit recouvert d’une sueur blanchâtre qui ressembloit à l’écume d’un tygre. Il s’essuya, il se rassit et avec un sourire convulsif il me dit : « M. Necker a diffamé Calonne et ruiné Panchaud : je veux qu’un jour sa réputation soit au-dessous de celle de Calonne et sa fortune plus bas que celle de Panchaud. Je le poursuivrai à Versailles, à Genève, dans ses opérations, dans ses écrits… A moins, ajouta-t-il en se reprenant, qu’il n’accorde la double représentation du tiers. » C’étoit à la fin de l’année 1788. M. Necker accorda la double représentation du tiers. C’est sur cela que j’écrivis bêtement au fourbe Mirabeau, qui eut l’art d’engager, de prolonger, de falsifier et de publier cette plate correspondance. Dès en moment je connus le monstre en plein et je vis clairement que, s’il n’étoit pas exterminé, tout seroit exterminé par lui.


M. Necker ne pouvait tenir longtemps contre la coalition d’attaques aussi vives. Un jour, il annonça dans un de ses mémoires l’intention de se retirer. Cette annonce fut accueillie par l’assemblée dans un silence glacial et prémédité. Le roi, qui, pour déterminer son retour, avait fait appel à son dévoûment et au service duquel il avait usé sa popularité, le laissa également partir sans lui, donner un témoignage de sympathie personnelle, et M. Necker, reprenant la route de Suisse, eut à traverser de nouveau ces provinces qui l’avaient acclamé à son retour de Bâle et qu’il trouvait animées de sentimens bien différens. Ce changement n’avait rien qui le surprît. Quelques jours avant le 14 juillet, comme la foule l’avait accompagné en triomphe jusqu’à son logement, il disait à quelques amis :