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travailler en secret à l’établissement de la république) rappela plus d’une fois dans un ferme langage à l’assemblée quelles étaient les prérogatives indispensables du pouvoir exécutif, et s’il se prononça en faveur du veto suspensif contre le veto absolu, c’est qu’il pensait (l’événement lui a-t-il donné tort ?) qu’en face d’une assemblée unique, une arme aussi puissante mise dans la main d’un souverain aussi faible que Louis XVI, aurait fini par se retourner contre lui. Ce protestant s’efforça de préserver le clergé d’une spoliation injuste et de lui faire assurer une dotation convenable. Ce courtisan de popularité blâma la publication du Livre rouge, qui contenait le registre des anciennes dépenses secrètes de la royauté et couvrit de sa responsabilité des actes auxquels il n’avait point eu de part. Et quel encouragement recevaient ces efforts que, sans avoir l’ascendant du génie, il tentait au nom de l’honnêteté et du bon sens ? Ses tentatives de résistance soulevaient les clameurs de la gauche et excitaient les sarcasmes de la droite. C’était surtout à ces sarcasmes que M. Necker et les siens étaient sensibles ; car il leur semblait avec raison que les efforts d’un ministre du roi auraient dû trouver chez les défenseurs de la royauté un appui plus constant. Aussi un jour où les aristocrates (c’était le langage du temps) avaient refusé d’entendre la lecture d’un mémoire de M. Necker, Mme de Staël écrivait à son mari qu’elle était sortie de la salle aussi indignée que triste, et prête à se trouver mal. M. Necker n’avait même pas, en effet, la ressource d’essayer sur ses contradicteurs l’ascendant d’une parole qu’il maniait, sinon avec éloquence, du moins avec facilité. L’accès de la tribune était interdit aux ministres, et M. Necker en était réduit à lutter contre elle à coups de mémoires écrits qui se trouvaient le lendemain livrés sans réponse aux sophismes d’une contradiction captieuse et contre lesquels s’acharnait souvent l’éloquence de Mirabeau.

On sait quel fut le malheureux succès de l’entrevue préparée par Malouet entre Mirabeau et M. Necker. « Quelles sont vos propositions, monsieur ? avait dit assez maladroitement le ministre à l’orateur. — Ma proposition, monsieur, est de vous souhaiter le bonjour, » répondit Mirabeau brusquement, et s’en allant furieux, il vint trouver Malouet, auquel il dit : « Votre ministre est un sot ; il aura de mes nouvelles. » Depuis cette époque, en effet, Mirabeau ne perdit aucune occasion de ruiner le crédit de M. Necker et de contrecarrer ses desseins. Mais sa haine remonterait plus haut, s’il faut en croire du moins un témoignage assez curieux, bien que peut-être un peu suspect. C’est celui de Cerutti, cet ex-jésuite qui était devenu l’ami de Mirabeau et qui avait fini par se brouiller avec lui, ce qui ne l’empêcha pas de prononcer son éloge funèbre en