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fraude ou par la violence, et la présence des troupes fédérales, mises à la disposition des gouverneurs locaux par les autorités de Washington, rendait toute résistance impossible. Cette protection faisait toute la force des administrations parasites qui avaient usurpé l’autorité dans les anciens états à esclaves ; c’était seulement d’un changement dans le pouvoir centrale que ces états pouvaient attendre le terme de leur oppression et la restitution de leurs droits.

Les hommes du Sud avaient fait des efforts désespérés pour assurer le succès d’un candidat qui fût disposé à leur rendre justice. Ils s’étaient prêtés à toutes les concessions : ils avaient accepté de porter à la présidence un homme du Nord, M. Tilden, ancien gouverneur de New-York, bien qu’il professât en matière de finances des opinions diamétralement contraires à celles qui dominaient dans le Sud ; ils avaient pris pour candidat à la vice-présidence un homme de l’Ouest, M. Hendricks, de l’Indiana ; attestant par ce double choix qu’ils abdiquaient toute pensée de revanche, toute intention de revenir sur le passé. Rien ne pouvait être plus explicite que les déclarations par lesquelles les hommes les plus influens du Sud, ceux même qui avaient joué le rôle le plus actif pendant la guerre civile, affirmaient qu’ils acceptaient les faits accomplis, qu’ils ne demandaient qu’à reprendre leur place au sein de la patrie commune et ne revendiquaient pour leurs concitoyens que le droit d’être administrés par des mandataires librement élus. Ces déclarations n’avaient pas été sans produire quelque effet sur les populations du Nord, au sein desquelles les idées de conciliation et de rapprochement faisaient tous les jours des progrès sensibles ; le témoignage d’hommes sincères, qui avaient imposé silence à leurs intérêts de parti pour rendre hommage à la vérité, avait établi la réalité des griefs du Sud. Enfin, l’opinion avait été profondément émue par les scandales administratifs qui avaient éclaté coup sur coup à Washington, par les procès du ministre de la guerre et du premier aide de camp du président, accusés tous les deux de concussions, par les imputations dirigées contre le ministre de la marine et qui devaient aboutir à un blâme législatif. Tout disposait les esprits à croire qu’il était temps d’arracher le pouvoir à la coterie qui le détenait depuis dix ans.


I

Le parti démocratique avait donc cru au succès de son candidat et, de fait, M. Tilden approcha du but aussi près que possible.