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celles de Lyon, de Vienne, écrivirent en Asie pour être informées. Plusieurs évêques, en particulier Ælius Publius Julius, de Debeltus, Et Sotas, d’AnchiaIe, en Thrace[1], vinrent pour être témoins. Toute la chrétienté fut mise en mouvement par ces miracles, qui semblaient ramener le christianisme d’un siècle en arrière, aux jours de sa première apparition.

La plupart des évêques, Apollinaire d’Hiérapolis, Zotique de Comane, Julien d’Apamée, Miltiade, le célèbre écrivain ecclésiastique, un certain Aurélius de Cyrène, qualifié « martyr » de son vivant, les deux évêques de Thrace, refusèrent de prendre au sérieux les illuminés de Pépuze. Presque tous déclarèrent la prophétie individuelle subversive de l’église et traitèrent Priscille de possédée. Quelques évêques orthodoxes, en particulier Sotas d’Anchiale et Zotique de Comane, voulurent même l’exorciser ; mais les Phrygiens les en empêchèrent. Quelques notables d’ailleurs, comme Thémison, Théodote, Alcibiade, Proclus, cédèrent à l’enthousiasme général et se mirent à prophétiser à leur tour. Théodote, surtout, fut comme le chef de la secte après Montanus et son principal zélateur. Quant aux simples gens, ils étaient tous ravis. Les sombres oracles des prophétesses étaient colportés au loin et commentés. Une véritable église se forme autour d’elles. Tous les dons de l’âge apostolique, en particulier la glossolalie et les extases, se renouvelèrent. On se laissait aller trop facilement à ce raisonnement dangereux : « Pourquoi ce qui a eu lieu n’aurait-il pas lieu encore ? La génération actuelle n’est pas plus déshéritée que les autres. Le Paradet, représentant du Christ, n’est-il pas une source éternelle de révélation ? » D’innombrables petits livres répandaient au loin ces chimères. Les bonnes gens qui les lisaient trouvaient cela plus beau que la Bible. Les nouveaux exercices leur paraissaient supérieurs aux charismes des apôtres, et plusieurs osaient dire que quelque chose de plus grand que Jésus était apparu. Toute la Phrygie en devint folle, à la lettre ; la vie ecclésiastique ordinaire en fut comme suspendue.

Une vie de haut ascétisme était la conséquence de cette foi brûlante en la venue prochaine de Dieu sur la terre. Les prières des saints de Phrygie étaient continuelles. Ils y portaient de l’affectation, un air triste et une sorte de bigoterie. Leur habitude d’avoir, en priant, le bout de l’index appuyé contre le nez, pour se donner un air contrit, leur valut le sobriquet de « nez chevillés (en phrygien, tascodrugites). Jeûnes, austérités, xérophagie rigoureuse, abstinence de vin, réprobation absolue du mariage, telle était la morale que devaient logiquement s’imposer de pieuses gens en

  1. Ces deux villes, situées sur la Mer-Noire, étaient voisines l’une de l’autre. Aujourd’hui Burgas et Ahiali.