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netteté. Entre le fidèle et Dieu y a-t-il ou n’y a-t-il pas un intermédiaire ? Montanus répondait non, sans hésiter. « L’homme, disait le Paraclet dans un oracle de Montanus, est la lyre, et moi, je vole comme l’archet ; l’homme dort, et moi je veille. »

Montanus justifiait sans doute, par quelque supériorité, cette prétention d’être l’élu de l’Esprit. Nous croyons volontiers ses adversaires quand ils nous disent que c’était un croyant de fraîche date ; nous admettons même que le désir de primauté ne fut pas étranger à ses singularités. Quant aux débauches et à la fin honteuse qu’on lui attribue, ainsi qu’à ses disciples, ce sont là les calomnies ordinaires, qui ne manquent jamais sous la plume des écrivains orthodoxes, quand il s’agit de noircir les dissidens. L’admiration qu’il excita en Phrygie fut extraordinaire. Tel de ses disciples prétendait avoir plus appris dans ses livres que dans la Loi, les prophètes et les évangélistes réunis. On croyait qu’il avait reçu la plénitude du Paraclet ; parfois on le prenait pour le Paraclet lui-même, c’est-à-dire pour ce Messie, en bien des choses supérieur à Jésus, que les églises d’Asie-Mineure croyaient avoir été promis par Jésus lui-même. On alla jusqu’à dire : « Le Paraclet a révélé de plus grandes choses par Montanus que le Christ par l’Évangile. » La Loi et les prophètes furent considérés comme l’enfance de la religion ; l’Évangile en fut la jeunesse ; la venue du Paraclet fut censée être le signe de sa maturité.

Montanus, comme tous les prophètes de l’alliance nouvelle, était plein de malédictions contre le siècle et contre l’empire romain. Même le voyant de 69[1] était dépassé. Jamais la haine du monde et le désir de voir s’anéantir la société païenne ne s’étaient exprimés avec une aussi naïve furie. Le sujet unique des prophéties phrygiennes était le prochain jugement de Dieu, la punition des persécuteurs, la destruction du monde profane, le règne de mille ans et ses délices. Le martyre était recommandé comme la plus haute perfection ; mourir dans son lit passait pour indigne d’un chrétien. Le encratites[2], condamnant les rapports sexuels, en reconnaissaient au moins l’importance au point de vue de la nature ; Montanus ne prenait même pas la peine d’interdire un acte devenu absolument insignifiant, du moment que l’humanité en était à son dernier soir. La porte était ainsi ouverte à la débauche, en même temps que fermée aux devoirs les plus doux.

A côté de Montanus paraissent deux femmes, l’une appelée tantôt Prisca, tantôt Priscille, tantôt Quintille, et l’autre, Maximille. Ces deux femmes, qui, à ce qu’il paraît, avaient dû quitter l’état de mariage pour embrasser la carrière prophétique, entrèrent dans leur rôle

  1. L’auteur de l’Apocalypse de Jean.
  2. Disciple de Tatien.