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tant de veilles trouvera à grand’peine un éditeur qui le publie pour quarante lecteurs en Europe !

Voilà certes de quoi remplir une vie ; en bien ! ce n’est qu’une préparation, et si l’archéologue s’en tient là, il restera le manœuvre obscur, l’antiquaire dont on raille la bizarre manie. Mais si cet antiquaire est un historien, un voyant du passé, l’heure est venue pour lui d’élever son monument. Qu’il éclaire et féconde ses propres découvertes avec les découvertes similaires de ses émules, l’indianiste, le sémitisant, l’assyriologue ; qu’il rattache les fils trouvés par lui au réseau déjà solide de la vieille histoire asiatique ; qu’il sache lire les pages mystérieuses des livres sacrés, de la Bible et des Védas ; surtout qu’il explique les races mortes par le spectacle des races vivantes sur le même sol, par l’action nécessaire des mêmes milieux sur les hommes, qu’il dégage de la diversité1 des symboles l’unité primitive des religions, des mythes, des coutumes de l’ancien monde ; s’il a le don qui fait vivre, ses momies retrouveront une âme ; une voix éloquente sortira de ses pierres et nous dira les empires disparus, l’existence des premiers hommes, leurs pensées et leurs peines, mères des nôtres y le savant créateur nous aura rendu des ancêtres, il aura repris des siècles au néant et reculé cet horizon des temps où notre inquiétude étouffe ; par lui nous saurons d’où nous venons, ce qui est presque savoir où l’on va. Voilà l’œuvre de l’archéologue ; je plains ceux qui la jugeraient inutile ou ennuyeuse, et je voudrais bien qu’on me dît qui rendra un plus fier service à l’humanité.

Auguste Mariette fut cet homme complet. Sa science était prodigieuse et elle avait des ailes. L’intuition du chercheur était proverbiale dans le monde savant. Quand il fouillait, il semblait qu’une attraction magnétique guidât chaque coup de pioche vers les gisemens historiques de la vallée du Nil. « Ah ! si je pouvais la remuer à ma guise ! disait-il parfois en frappant du pied sa terre d’Égypte : je la sens qui me cache tant de choses ! personne ne peut savoir quelles révélations nous garde encore ce sable. » Sa grande habitude des lectures hiéroglyphiques lui permettait de dépouiller très vite les documens qu’il trouvait ; de ces matériaux informes il faisait aussitôt l’histoire. C’était l’esprit le plus naturellement généralisateur qu’il m’ait été donné de rencontrer. Le plus menu fait n’était pour lui qu’un prétexte à s’élancer vers les hauteurs de la synthèse. Toutes ses études convergeaient vers un but, la solution du problème religieux chez les anciens Égyptiens, la part d’influence qui leur revenait dans les transformations postérieures de l’idée divine. Deux de ses ouvrages, le Mémoire sur la mère d’Apis et le Temple de Dendérah ont fait