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comme l’on doit « s’asseoie à la cour, céder la place à son supérieur, le saluer prosterné jusque sur le front. » En réalité, il avait appris la diplomatie dans cette longue suite de luttes qui rend la figure de Mariette si attachante ; ce n’était pas un savant de cabinet, celui-là, il avait durement pratiqué les hommes ; l’expérience de la vie, greffée sur celle de l’histoire, lui permettait de rendre des points aux plus fieffés intrigans, et son intrigue, à lui, c’était une vertu. Qu’il était touchant de le voir, au milieu de ces gens possédés d’une pensée de lucre ou d’ambition, suivre seul une idée désintéressée, combattre pour sa religion avec les armes des gentils, s’abaisser pour que la science s’élevât ! Il sentait bien le prix de son sacrifice, ses, journées de travail perdues, sa dignité froissée ; conscient de sa haute mission, de sa supériorité morale sur tout ce qui l’entourait, il revenait du divan atteint dans son légitime orgueil, indigné d’avoir dû flatter un traitant ou céder la place à un eunuque, lui, le serviteur de l’éternel. Vers la fin, ces accès de sourde tristesse étaient fréquens ; ils laissaient Mariette maussade tout le jour, et ces jours-là le mal du foie empirait ; il faut croire qu’il y eut beaucoup de ces jours-là, puisque le mal l’a emporté si tôt. Voilà comment la chaîne d’or fut pesante ; il était équitable de rectifier la légende.

Peut-être ne me l’eussiez-vous pas permis, cher et excellent ami. Dans le repos où vous êtes à cette heure, les bons souvenirs doivent seuls remonter. Si vous aviez la parole, vous me diriez que ces maîtres exigeans étaient meilleurs qu’on ne les croit, victimes eux-mêmes des circonstances, des fatalités de race et d’éducation ; vous me diriez que l’instaure, notre commune passion, ne nous a rien appris si elle ne nous a enseigné à juger les hommes de leur point de vue, non du nôtre ; on peut vivre dans le même temps et être séparés par des siècles, on peut vouloir le bien et ne pas le comprendre comme son voisin ; il est injuste de mesurer les esprits à la même règle, alors qu’ils ont été jetés dans des moules différens ; une seule chose, est de droit commun, l’indulgence, la tolérance mutuelle. Oublions donc les mauvais momens, comme nous vous les faisions oubliée jadis, en vous menant retrouver les dieux du musée. C’était vite fait. L’âme de Mariette portait en elle-même d’ineffables consolations ; un instant meurtrie aux épines de la terre, elle retrouvait aussitôt ses ailes pour remonter dans l’idéal. C’était une âme d’enfant, gardée toute jeune et toute tendre par l’austérité du travail ; une âme d’artiste et de poète, ouverte à toutes les extases, vibrant devant les spectacles de la nature comme devant ceux de l’histoire. Je ne sais si je rends bien les contradictions de cette âme : le caractère trempé résistait à tout, un rien froissait