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Mariette, » et nul n’a mieux réalisé le type du genre que cet homme excellent et chagrin. Nos expositions parisiennes amenaient de violens combats dans son cœur ; il craignait tant pour ses trésors les dangers du voyage, les aventures en lointain pays ! D’ailleurs, à quoi bon produire les vrais dieux chez les infidèles, les profanes ? Il n’en venait que trop à Boulaq. Aimant bien, il était jaloux, atrocement jaloux. Par boutades, il eût voulu tout enfouir à nouveau, pour lui seul. Il fit ainsi pour les tombeaux de Saqqarah, après qu’on y eut constaté quelques dégâts commis par des touristes stupides. Lors de mon premier voyage d’Égypte, en 1872, nous arrivâmes à Saqqarah avec quelques amis, sans Mariette ; à notre demande de voir les tombeaux, son intendant nous dit qu’ils étaient comblés ; comme nous nous récriions, l’Arabe reprit d’un air satisfait : « Ce n’est rien, Mariette sait où ils sont. » Le bey avait soigneusement nivelé le sable et possédait seul, en effet, les repères de ses trésors. Cela lui suffisait ; il se frottait les mains de la déconvenue des voyageurs. L’instant d’après, par une naturelle contradiction entre sa manie d’amant et son intelligence, il se désolait de ce qu’il ne venait pas assez de monde à son musée, de ce qu’on pouvait chercher en Égypte autre chose que ses sphinx et ses dieux, attendant les hommes de bonne volonté pour leur révéler les secrets de vérité.

En plus de son histoire passée, chacune de ces pierres, chacun de ces morts avait son histoire actuelle, l’histoire de sa découverte. C’était la plus vivante, la plus saisissante à entendre raconter par Mariette. Il s’interrompait fréquemment dans son commentaire sur une momie pour s’écrier : « Et quand je pense comment je l’ai trouvée, cette coquine-là ! » La leçon faisait place au récit passionnant de cette chasse à l’antique. Tantôt c’était un hasard providentiel, tantôt le résultat d’une longue poursuite raisonnée. La capture de tel sarcophage avait coûté des efforts de sagacité, d’induction et de calcul qui nous faisaient penser au Scarabée d’or d’Edgar Poë. A côté, une relique grandiose du vieil art, une stèle qui révélait un siècle, étaient sorties de terre sous le bâton distrait d’un fellah. Il fallait voir le bey sonder sur toutes les faces une pyramide pour trouver le couloir de la chambre funéraire, comme un voleur de nuit qui essaie sa pince sur un coffre-fort. Il découvrait ainsi, après de longs tâtonnemens, l’entrée habilement masquée. Il revenait sans cesse à celle de Saqqarah : il l’a tourmentée trente ans, mais cette fois la pyramide a repoussé l’ennemi et gardé sa tombe vierge. On sait que les anciens Égyptiens mettaient leur point d’honneur funèbre à bien cacher leur dépouille, au fond de labyrinthes compliqués, dont l’orifice variait de place et se