Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/774

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
AUGUSTE MARIETTE

Une bien triste nouvelle nous arrive d’Égypte : Auguste Mariette est mort. Jadis le malheur cheminait d’un pas lent, atteignant tour à tour les cœurs qu’il visait ; le progrès l’a fait, — si c’est là du progrès, — plus foudroyant, simultané pour tout le monde. Le télégraphe passe, brutal, et attriste d’un éclair des amis dispersés aux deux pôles. Le journal, — la bruyante machine qui fait chaque matin la voirie de la ville, balayant les idées, les faits et les morts de la veille pour laisser la place à ceux du jour, — le journal jette un nom dans la fosse commune des notices nécrologiques : Mariette, archéologue. — Qu’est-ce que cela ? auront demandé beaucoup d’honnêtes lecteurs, après s’être apitoyés sur la disparition d’un vaudevilliste célèbre, d’un acteur fameux ou d’un politicien illustre. — Mariette-Bey ? qui était ce Turc ? a peut-être dit quelqu’un en France. Puis la foule a oublié. Espérons pourtant que plus d’un lecteur français, parmi ceux qui surveillent en avares le trésor diminué de nos gloires, aura senti un coup au cœur en voyant s’éteindre une de ces gloires ; espérons qu’en tout pays bien des hommes, parmi ceux qui attendent de ce siècle une révélation de vérité, auront eu un cri de souffrance et de révolte devant Ce méfait de la mort : l’ouvrier de génie pris à sa tâche en plein effort, en pleine promesse, au moment où il préparait la lumière qui sera l’aube de demain.

Aujourd’hui, ce langage peut paraître ambitieux, appliqué au modeste savant ; je crois qu’il reste bien au-dessous de ce que dira l’avenir. Ah ! comme ce grand juge bouleversera nos catégories ! comme nous serions stupéfaits si nous pouvions le voir classer à sa guise les renommées et les créations de notre temps ! Si nous