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rectification de la frontière des autres. La seconde raison, c’est qu’après avoir laissé commettre bien des folies en son nom, la France n’est pas sans doute disposée à se laisser rejeter dans les aventures et qu’avant de rentrer dans l’action, elle a besoin de se sentir assez reconstituée, assez réorganisée pour remplir tout son rôle, pour ne manquer ni à son passé ni à son avenir.

De toutes les puissances engagées dans ces malheureuses affaires orientales, l’Angleterre n’a point été la moins vive, la moins portée à l’action il y a quelque temps, et elle semble maintenant s’être un peu refroidie. Elle n’en est nullement sans doute à déserter son rôle, à se désintéresser de tout ce qui se passe en Orient ; elle temporise, elle évite les initiatives qui pourraient la conduire plus loin qu’elle ne le voudrait, et d’ailleurs pour le moment elle est tout entière à ses affaires intérieures, à ses débats de parlement, au grand effort qu’elle tente pour ramener la paix en Irlande.

L’Irlande en effet, c’est son embarras sans cesse renaissant, son « obstruction » pour employer le mot du jour. En dehors même des crimes agraires et des séditions locales qui désolent le pays, contre lesquelles les répressions sont le plus souvent inefficaces, l’Angleterre rencontre cet embarras irlandais sous toutes les formes. Elle l’a rencontré il y a quelques jours sous la forme de ce procès qui avait été intenté devant la cour de Dublin à M. Parnell et à ses amis, qui s’est terminé sans résultat, par l’impossibilité où s’est trouvé le jury de se mettre d’accord. Quand ce n’est plus le procès Parnell, c’est dans le parlement même l’opposition de la brigade irlandaise, habile à se multiplier, acharnée à résister, à pratiquer par les procédés les plus variés cet art perfectionné de « l’obstruction » qui consiste à tout empêcher. Pour la première fois, depuis longtemps, en Angleterre, la discussion de l’adresse a occupé plus d’une semaine par le seul lait d » ; la ténacité irlandaise. Quand on a eu voté l’adresse, on n’en avait pas fini ; ce n’était que le commencement. Alors est venue la grosse question, celle des mesures de coercition proposées par le gouvernement, soutenues par M. Forster. Le bill récemment présenté n’est d’ailleurs qu’une partie du système ministériel ; il consiste dans la suspension de l’habeas corpus, dans l’autorisation donnée au vice-roi d’Irlande de faire arrêter les suspects de trahison ou d’autres crimes dans les districts livrés à l’agitation. Chose curieuse ! il ne s’agissait encore que de la mise à l’ordre du jour du bill, et dès le début, il y a eu une séance qui s’est prolongée pendant vingt-deux heures ! Vainement M. Gladstone est intervenu en présentant de sa parole décisive un exposé de la situation de l’Irlande fait pour justifier les mesures proposées. Les Irlandais sont restés sur la brèche jusqu’à fatiguer toutes les forces. M. Gladstone a été obligé de se retirer. Le speaker lui-même a dû quitter son siège pour aller prendre quelque repos. Les membres du parlement se