Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/733

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans cette singulière et malheureuse campagne, les diverses puissances, rattachées par ce fragile lien du concert européen, n’avaient visiblement ni un rôle égal, ni les mêmes préoccupations, ni la même Initiative. On le voit assez dans cette série de dépêches où se reflètent les impressions successives dés cabinets avant comme après la conférence. Ainsi il est bien clair que la Russie, bien que fort disposée à favoriser la Grèce, à encourager ses espérances, ne veut pas se mettre en avant. La Russie dit à notre ambassadeur à Saint-Pétersbourg, M. le général Chanzy, qu’elle a « déjà trop à demander sur des points qui l’intéressent plus particulièrement pour se décider à prendre l’initiative dans cette affaire de la Grèce, si bien soutenue par la France… » Le baron Haymerlé ; à Vienne, met tous ses soins à bien constater que l’Autriche ne propose rient qu’elle se rallie simplement aux propositions qui lui sont faites. M. de Bismarck, en s’empressant avec bonne grâce d’offrir une fois de plus l’hospitalité à la diplomatie, décline toute responsabilité : il attend les ouvertures de Londres ou de Paris, et ne se charge que pour la forme de la convocation. D’où vient donc l’initiative ? Est-ce de l’Angleterre ? Oui sans doute ; le cabinet de Saint-James cependant, après s’être beaucoup agité, après avoir tracé de vastes programmes et avoir paru vouloir résoudre à la fois toutes les questions orientales, le cabinet anglais ne demanderait pas mieux que de mettre la France en avant, et la France, de son côté, tient à laisser à l’Angleterre l’honneur de prendre l’initiative pour la Grèce comme elle l’a prise pour le Monténégro, comme elle la prendra pour l’Arménie. Au demeurant, il est de toute évidence qu’on se prépare sans entrain, avec peu de confiance, à cette réunion, où l’on va pourtant bâcler une chose assez extraordinaire, et si les difficultés ou les hésitations se manifestent avant la conférence, elles deviennent bien plus sensibles encore le lendemain.

À peine l’œuvre est-elle accomplie, en effet, à peine la délibération de Berlin est-elle communiquée par une note collective à Constantinople et à Athènes, on commence à réfléchir, à voir les embarras, les impossibilités. L’attitude de la Porte démontre qu’on n’aura pas aussi facilement raison qu’on le croyait de la résistance des Turcs. Les agitations belliqueuses de la Grèce deviennent d’heure en heure un sujet d’inquiétude et ne tardent pas à provoquer des impatiences, bientôt des remontrances. Des doutes s’élèvent sur l’efficacité de l’œuvre de Berlin, sur le danger des passions qu’on a enflammées, sur les suites de conflagrations nouvelles en Orient. M. de Bismarck reste assez froid et n’est pas même éloigné de fournir des fonctionnaires allemands à la Porte ottomane. Le jour vient où notre ambassadeur à Vienne. M. le comte Duchâtel, écrit : « D’après l’ensemble des impressions que j’ai recueillies, les dispositions des puissances ne seraient guère favorables à la Grèce, en ce sens qu’aucun gouvernement ne témoignerait l’intention de prêter une assistance matérielle aux revendications