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manière dont elles procéderont à la médiation, et la Sublime-Porte n’aurait rien à objecter à la conférence projetée si les informations fournies à ce sujet ne semblaient indiquer que les représentons des puissances sont appelés à prendre des décisions qui seraient inconciliables avec l’idée et le caractère d’une médiation. La Sublime-Porte a toujours compris que la médiation des puissances consisterait avant tout à examiner, à discuter tel ou tel projet de rectification de frontières, en s’adressant à chacun des deux états, particulièrement à celui qui est appelé à faire tous les sacrifices. Cette conviction, fondée sur l’observation rigoureuse de l’esprit et des termes de l’article 24 du traité de Berlin, doit sans doute exclure toute crainte d’une atteinte à l’indépendance du gouvernement impérial. » C’était là le point vif que les Turcs saisissaient habilement dès la veille de la conférence. Les puissances outré-passaient leur droit, et, en sortant de leur vrai rôle, elles entraient dans une voie pleine de périls. Au lieu de simplifier une situation déjà assez confuse, elles la compliquaient encore ; au lieu d’apaiser un différend, elles l’aggravaient et l’envenimaient. D’un côté, elles étaient bien sûres d’avance, elles ne pouvaient l’ignorer, que ce qu’elles faisaient serait repoussé par la Porte comme une usurpation sur le droit souverain d’un état nécessairement appelé à délibérer sur la mesure de ses propres concessions. D’un autre côté, par la forme comme par l’esprit de leurs décisions, elles rendaient la question encore plus insoluble en mettant le feu à ce malheureux petit état grec. Elles semblaient légitimer les ambitions et les revendications helléniques, et à partir de ce moment en effet, il n’y a plus eu un doute à Athènes ! L’acte de Berlin est devenu pour tous un arrêt définitif et irrévocable. Les territoires de la Thessalie et de l’Épire, Janina, Larissa, Metzovo, ont été considérés comme une propriété de la Grèce que les Turcs étaient sommés de restituer, et avant même que la diplomatie eût achève son travail, les Grecs commençaient leurs arméniens ; ils se mettaient en de voir d’exécuter ce qu’ils appelaient la sentence européenne, de défendre ce qu’ils appelaient désormais leur droit. Or, entre les Turcs et les Grecs ainsi mis en présence, quelle était la situation de l’Europe ? L’Europe avait trop fait pour une simple médiation, telle que la prévoyait le traité de 1878, et pour aller au-delà elle ne se trouvait sûrement pas en mesure. Elle ne s’était d’ailleurs proposé rien de semblable à Berlin ; elle n’avait voulu ni s’engager elle-même ni engager les Grecs dans un conflit pour l’exécution de ce qu’elle avait décidé. Seulement elle s’était trompée ; elle ne s’était pas aperçue qu’en Croyant travailler pour la paix, elle risquait d’avoir donné des armes pour la guerre et qu’après avoir adopté théoriquement, avec une certaine solennité, un tracé de frontières, il resterait toujours à « réaliser pratiquement » ce tracé.

C’était là justement la difficulté, d’autant plus grave que, par le faut,