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verts, serpens jaunes, tortues grises, cherchant à se hisser sur les branches des tamarins déracinés et emportés par le courant. Ce spectacle rappelait sur une petite échelle, aux soldats du centre de la France, les inondations de la Loire. » L’Oued-Guir se réunit à l’Oued-Sousfana pour former l’Oued-Saoura, appelé aussi Messaoura et Messaoud, qui se perd dans les sables après avoir longé le Touat. L’eau, c’est la vie dans le désert ; elle fait jaillir la verdure comme par enchantement ; aussi le Sahara marocain n’a-t-il point l’aspect désolé du Sahara algérien, les oasis s’y pressent en lignes serrées le long des rivières, nourrissant une population nombreuse. On estime à cent cinquante mille le nombre des habitans de l’Oued-Guir et à deux cent mille celui des habitans du Tafilalet.

L’importance du Touat justifierait à elle seule la construction d’un chemin de fer pour le desservir. Sur un espace de 300 kilomètres de long et de 160 de large s’épanouissent au milieu de leurs jardins trois cent cinquante villages dont quelques-uns, comme Tamentit, comptent jusqu’à six mille habitans. Le total de la population ne doit pas être inférieur à quatre cent mille âmes. Des nappes souterraines d’une extraordinaire abondance et aménagées avec une admirable industrie par les indigènes, entretiennent la fraîcheur de ce pays au milieu des plaines arides qui l’entourent. Les oasis étant placées dans des vallées inclinées vers le sud, les Touatiens creusent un puits à 1 ou 2 kilomètres au nord de l’endroit où ils veulent amener l’eau, puis un autre à 30 mètres plus bas, puis un troisième à la même distance du second, et ainsi de suite jusqu’au point d’arrivée. Chaque puits alimente une rigole ; on relie tous ces ruisselets par des galeries souterraines qui les ramassent en un ruisseau dont les indigènes qui ont coopéré à la besogne se partagent les eaux, une fois qu’elles sont arrivées à ciel ouvert : on appelle cela une Feggara. Ces patiens travaux de taupe sillonnent le pays de leurs innombrables ramifications. A l’ombre des dattiers qui sont la principale culture, le sol ainsi fécondé produit du blé, de l’orge, du maïs, du mil, des haricots, des petits pois, des pois chiches, des fèves, des navets, des carottes, des oignons, des aulx, des choux, des citrouilles, des melons, des pastèques et divers autres légumes. Les chameaux, les chèvres et les moutons forment de grands troupeaux, ces derniers n’ont point de cornes et par suite d’un effet du climat ils ont du poil au lieu de laine. Chaque année, des caravanes apportent du blé de l’Algérie et l’échangent contre des dattes. On calcule que, tant dans le Touat que dans l’Oued-Guir et le Tafilalet, il existe actuellement dix millions de palmiers pouvant donner 150,000 tonnes de fruits. A un élément de trafic si considérable s’ajouterait encore pour le chemin de fer, au cas