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un asile, et chérissent d’un sombre amour ce triste coin de terre, dont la désolation même leur assure la paix en les protégeant contre l’envie.

Le parcours entre Biskra et Ouargla, qui est de 370 kilomètres, est beaucoup plus avantageux. Sur toute la ligne des oasis, le sol absolument plat est formé d’alluvions qui ont la consistance du tuf. Il n’y aurait quelques remblais à faire qu’au-delà de l’Oued-Rhir pour traverser sur une largeur de 50 kilomètres une plaine d’un aspect fort singulier ; elle est ridée par une multitude de petites dépressions dont la profondeur n’excède guère 5 mètres et dont le fond est blanchi par des cristallisations salines ; le sol sableux en est maintenu par une sorte de ciment gypseux qui l’agglutine légèrement et par une végétation spontanée que la culture pourrait développer. L’Oued-Rhir offre une ligne d’eau continue sur un espace de plus d’un degré terrestre. Les oasis comptent douze mille huit cents habitans et quatre cent trente mille cinq cents palmiers en rapport. Les deux ateliers de forage que les Français y ont organisés et qui creusent des puits avec une rapidité qui émerveille les indigènes accroissent chaque jour l’étendue des terres cultivables en amenant à la surface les eaux souterraines ; on estime qu’il sera possible de doubler celle qui existe actuellement et de porter à 8,000 tonnes la production des dattes et à 1,200 celle de l’orge. Ouargla et les oasis de son rayon, bien que n’ayant que de quatre à cinq mille habitans, ont autant de palmiers que l’Oued-Rhir et peuvent fournir 7,000 tonnes de dattes. Si l’on ajoute à cela le commerce du M’zab, qui à défaut de la ligne de Laghouat à El-Goleah, se servirait de celle de Biskra à Ouargla, celui du Souf, qui donne 3,000 tonnes de dattes par an, et celui des Zibans, qui en donne 14,000, on en arrive à conclure avec M. Choisy que ce chemin de fer de Biskra à Ouargla « trouverait dès à présent des élémens locaux de trafic capables d’indemniser au moins partiellement des frais de son établissement. »

Chemin faisant, la mission a fait des observations intéressantes qui ne relevaient point absolument de son programme. Le docteur Weisgerber a exécuté de nombreuses mesures anthropologiques qui aideront sans doute à déterminer avec certitude à quel rameau de l’espèce humaine il faut rattacher la curieuse population sédentaire des oasis. On sait qu’elle est noire, et M. Weisgerber incline à penser qu’elle provient d’un métissage entre nègres et berbères, Elle parle un dialecte berbère qui paraît se rapprocher beaucoup du Zenaga da Soudan. Elle aime le travail autant que la race arabe l’abhorre, et est parfaitement acclimatée dans les bas-fonds humides de l’Oued-Rhir, qui deviennent meurtriers pour celle-ci à