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chlorure de chaux, qu’on attendait inutilement de France, mais c’étaient là des inconvéniens dont on ne s’occupait plus. L’important eût été de prendre la mer quelques jours, mais les affaires retenaient le commandant à Vera-Cruz, et il ne pouvait envoyer le Magellan tout seul au large, son poste y étant dès qu’il y avait quelque danger à courir abord.

Ce fut alors qu’il apprit la nouvelle de l’attaque de Matamoros par Escobedo, qui avait plusieurs milliers d’hommes et onze pièces de canon. Les communications étaient interceptées entre Matamoros et tout autre point, et nous en étions réduits à expédier des courriers le long du Texas pour connaître la situation exacte. Le commandant partit aussitôt pour Matamoros avec le Magellan, l’Adonis, le Tartare et la Tactique. Dans cette saison des coups de vent du nord, la traversée fut pénible. L’Adonis arriva trente-six heures en retard, et le Tartare fut forcé de retourner un jour à Vera-Cruz. Il avait perdu son gouvernail parti par la jaumière avec la barre et tout ce qui y attenait. A peine mouillé, le commandant écrivit au général Wetzel, qui commandait les forces des États-Unis, sur le Rio Grande. Les faits de connivence américaine étaient nombreux et faciles à signaler. Les libéraux tiraient et avaient tiré du Texas, de Brownsville en particulier, la plupart de leurs ressources en hommes et en munitions. Les pièces d’Escobedo étaient servies par des canonniers américains non encore congédiés. Les blessés étaient reçus à l’hôpital de Brownsville, où les officiers d’Escobedo et de Cortina venaient journellement, en armes, prendre leurs repas. En un mot, Brownsville semblait être le quartier-général des juaristes, qui n’eussent été capables de rien entreprendre sans les secours constamment renouvelés qui leur venaient du Texas.

C’était tenir en bride les Américains par une protestation formelle contre leur violation de la neutralité sur la frontière. Quant à Matamoros, l’arrivée du Magellan et des autres navires sans troupes à bord avait produit un fâcheux effet. Le général Mejia disait par instans qu’on l’abandonnait, mais il paraissait néanmoins décidé à se défendre à outrance et déployait une énergie et une activité extraordinaires. La garnison était animée d’un bon esprit, et la population, ayant appris que les chefs dissidens avaient promis quatre heures de pillage afin d’attirer dans leurs rangs le plus d’aventuriers possible, s’était, comme au mois de mai précédent, organisée en milices. Mejia n’eût demandé que deux cents pantalons rouges pour garder la ville pendant qu’il sortirait et culbuterait l’ennemi. La division ne pouvait, avec ses malades, s’associer autant qu’elle l’eût désiré à ce mouvement de défense, mais elle allait, comme toujours, agir avec autant de rapidité que d’énergie.

Le bruit courant que l’ennemi allait tenter quelque chose contre