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le ton dont on s’exprimait sur la famille royale était toujours déférent et respectueux. On déplorait l’aveuglement du roi, mais on rendait justice aux intentions d’un prince vertueux. Quant à la reine, on la croyait seule capable « d’arracher le bandeau que les courtisans avaient étendu sur les yeux du monarque. » Chose singulière, en effet, et qui n’a pas été assez remarquée, c’est du monde de Versailles et de Trianon, de la petite cour de Mesdames tantes ou de celle de Monsieur, parfois même de l’entourage le plus intime de Marie-Antoinette, que sont partis ces jugemens sévères, ces rumeurs malveillantes, ces calomnies odieuses qui sont retombées d’un poids si lourd sur cette tête charmante et infortunée. Le parti libéral d’alors était plutôt bienveillant pour elle ; il devinait que sous cette apparence frivole se cachait plus d’intelligence et de résolution que sous les dehors sévères du roi, et il espérait qu’une fois les premières bouffées de la jeunesse dissipées, cette intelligence, cette résolution, se tournant aux choses sérieuses, viendraient en aide aux réformateurs. Tels sont les sentimens dont M. de Staël se fait plus d’une fois l’interprète dans ses dépêches :


Plus j’ai le bonheur de voir la reine, plus je suis fort dans l’opinion que j’ai toujours eue de l’excellence de son caractère. Elle aime la vérité, et on peut la lui dire si elle est persuadée de la probité et du désintéressement de celui qui lui parle. En traitant avec noblesse et franchise, on est sûr de lui plaire, seroit-on même d’une opinion contraire à la sienne. Aussitôt qu’elle peut démêler la flatterie et la fausseté, elle les prend en horreur, mais comme tous les princes de la terre, elle ne peut point, pour le malheur de l’humanité, être toujours en garde contre l’adresse qu’emploient les courtisans pour arriver à leur but, n’importe de quelle manière et quelles qu’en puissent être les suites.


Quelle impression faisaient éprouver à Gustave III ces propos un peu cavaliers de son jeune ambassadeur, sur tous les princes de la terre, desquels il ne paraît même pas excepter son souverain ? Peut-être la disgrâce où M. de Staël tomba quelques années plus tard eut-elle pour première origine la liberté du langage qu’il tenait dans ses dépêches. Gustave III devait lui savoir gré cependant de la manière dont il continuait à parler de la reine. C’est ainsi que M. de Staël lui écrit, à propos de l’arrestation du cardinal de Rohan :


Il paroît certain que MM. De Vergennes et de Calonne sont fortement contre la reine, et que, loin d’arrêter les bruits qui peuvent lui être désagréables, ils se plaisent à les exciter. Il est malheureux pour la reine de n’avoir pas un homme en état de la conseiller, car, avec des qualités aimables, elle a la force nécessaire pour suivre un excellent