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de Bagdad à la Tisiphone. Mais ce n’était pas l’avis du commandant de la division à qui on en avait écrit, car la rade de Bagdad étant foraine, c’eût été une force imprudemment mise à terre. Les communications étaient coupées en effet entre Matamoros et Monterey, ainsi qu’entre Matamoros et Bagdad, à l’embouchure du fleuve. Il est vrai que, dans ce dernier espace, l’inondation presque complète des terres y suffisait. Cependant, à la fin du mois, le ministre Robles revenait, et Matamoros semblait moins menacé par suite du peu d’intelligence existant entre Cortina, Escobedo et les autres chefs mexicains qui tenaient la campagne dans les environs. Toutefois ces chefs avaient toujours, quoique non avoué, l’appui des autorités fédérales de Brownsville. Un officier très intelligent, envoyé sous un prétexte quelconque à Brazos, avait constaté le rassemblement d’un très grand nombre de chariots, de fourgons et chalands arrivés démontés d’Amérique.

Le 28 septembre, la Tisiphone retournait à Matamoros. Elle avait surtout pour mission de surveiller les Américains et de s’assurer s’il était vrai qu’ils employassent 15 à 20,000 noirs à la construction de deux chemins de fer dans le Texas et dans le voisinage de la frontière du Mexique, sans doute pour faciliter les mouvemens de troupes. Cette crainte constante des États-Unis, qui s’affirmait chaque jour par de nouveaux motifs, agissait si fortement sur le maréchal qu’il allait jusqu’à les supposer capables de nous attaquer sans déclaration de guerre. Il demanda même au commandant Cloué si, dans le cas d’hostilités subites contre Vera-Cruz, il ne lui serait pas possible de mettre aussitôt à terre son matériel et son personnel et de se retirer sur Cordova. Une objection capitale à cette opération, c’est que, si l’agression devait être soudaine, nous ne la saurions que lorsqu’elle aurait eu un commencement d’exécution et qu’il serait déjà trop tard pour débarquer à Vera-Cruz les hommes et le matériel. Quant à la retraite sur Cordova, elle eût été un désastre avec des matelots qui ne connaissent pas la guerre à terre et au milieu d’un pays qui se fût entièrement soulevé contre nous. Le commandant Cloué répondait avec une honorable et fière modestie que le rôle de la marine est sur l’eau et non à terre, qu’il se croyait capable de défendre son bâtiment jusqu’à la dernière extrémité aussi bien que n’importe quel capitaine de vaisseau, mais qu’il se reconnaissait tout à fait incapable de remplir les fonctions de colonel. C’était de la franchise, mais les choses en arrivaient à un point où il devait moins que jamais déguiser sa pensée au maréchal. Le commandant Cloué se trouvait d’ailleurs, à bord du Magellan, aux prises avec la fièvre jaune, qui sévissait également à Carmen sur le Brandon et faisait ainsi à la division une de ses visites périodiques. On manquait de médicamens, de linge, de