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par de mauvaises intentions, bien que le général fédéral déclarât qu’il n’avait lieu que pour observer la neutralité et empêcher une invasion des chefs libéraux. Mais était-ce croyable ? Pendant que le gouvernement affirmait que les expéditions de flibustiers ne partiraient pas, on voyait déjà passer sur la frontière du Rio-Grande l’avant-garde de ces expéditions, et les hostilités commenceraient sans doute que le cabinet de Washington protesterait encore de sa neutralité.

L’intervention américaine paraissait donc imminente et donnait à la guerre qui pourrait s’ensuivre des proportions gigantesques. Non-seulement le Nord serait envahi par une armée moitié de troupes régulières, moitié d’aventuriers, mais la marine fédérale pouvait écraser notre faible division et menacer toutes les côtes. Dès lors le soin de protéger Vera-Cruz préoccupait vivement le maréchal, car Vera-Cruz entre nos mains était une porte de sortie sur la mer, tandis qu’au pouvoir des Américains, c’était la porte du Mexique fermée sur nous. Or, il n’était point facile de défendre les mouillages de Vera-Cruz et de Sacrificios. Le fort de Saint-Jean d’Ulloa et les fortins de Vera-Cruz eussent été complètement inefficaces contre des bâtimens blindés. On pouvait faire quelques revêtemens en terre, mais sans y compter. Le matériel d’artillerie du fort était complètement insuffisant. Il n’y avait qu’en petit nombre du 36 et du 24 et peu de projectiles. Disposées pour battre du côté du large en 1838, ces pièces étaient inutiles à cause du mauvais état des murailles sur les parties qui défendent les passes nord et sud. D’ailleurs, comme il n’y eût eu probablement que des bâtimens blindés à tenter l’attaque, elles n’auraient point eu d’effet contre eux. Ce qu’il eût fallu, c’eût été au moins, pour défendre les passes, deux batteries flottantes d’une certaine puissance de vapeur, pour changer de mouillage avec le vent et le courant. Quant au mouillage de Sacrificios, il était impossible de le défendre, car on s’y rend par le nord et par le sud hors de portée de canon. Une batterie s’y lût trouvée de plus isolée et sans eau. Enfin les navires de la division du Mexique étaient insuffisans de toute façon. Si Vera-Cruz eût été véritablement à nous, on eût pu l’armer de nos canons de marine et s’y retirer comme l’ont fait les Russes à Sébastopol, mais nous n’eussions pu y tenir. A la vue des Américains, tout s’y fût soulevé et nous aurions eu l’ennemi devant et derrière et au milieu de nous. La seule défense logique était de faire remorquer à Fort-de-France, à la Martinique, les faibles bâtimens dont nous disposions, de recevoir au moins deux batteries flottantes et d’appeler d’Europe une escadre cuirassée, qui irait au-devant de l’escadre américaine.

Cela était exact, mais point rassurant, et il y avait lieu d’user de