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on disait qu’aussitôt après fédéraux et confédérés se jetteraient ensemble sur la frontière du Mexique. Pour ceux qui voyaient les choses, cela n’avait rien d’improbable.

Cependant le commandant Cloué, laissant la Tisiphone devant Matamoros afin de surveiller les événemens, allait partir pour le Sud, où l’appelaient des faits assez graves. Par une sorte de coïncidence, un mouvement semblable à celui du Nord avait éclaté aux environs du Tabasco et dans la lagune de Terminos. Carmen était là le centre de notre occupation. Le Brandon y restait en station et tenait dans une fidélité craintive de nos armes, non-seulement la garnison de la presqu’île, mais celles de Palizada et de Jonuta, qui, situées toutes deux sur l’Usumacinta, à la partie sud de la lagune, étaient, à l’égard de San-Juan-Bautista, comme les sentinelles avancées de notre domination. Le commandant de la ligne de l’Orient à Monte-Christo (nom assez singulier pour désigner la frontière du Tabasco), de Pratz était alors à Jonuta, qu’il avait pris. Le capitaine du Brandon avait à lui faire parvenir une lettre du commandant Cloué. Celui-ci le prévenait qu’une canonnière, en faisant une reconnaissance dans le Grizalva, avait enlevé les pilotes et capturé un certain Jacinta Cautelle, porteur de dépêches du gouvernement de Tabasco. Les dépêches étaient renvoyées, et l’homme relâché malgré sa mission. Ce qui explique cette indulgence, c’est que ce Cautelle avait été pris sur le Tabasco, petit vapeur qui allait très librement de Vera-Cruz à San-Juan-Bautista, et qu’on affectait, tout en lui faisant la guerre, de regarder le Tabasco comme une province de l’empire occupée par quelques mécontens. Peut-être aussi ce petit vapeur donnait-il à chaque parti des renseignemens qui motivaient la tolérance à son égard. En revanche, le commandant gardait les pilotes, auxquels il ne serait fait aucun mal en dépit des calomnies qui couraient sur nous, et on envoyait à Campêche les passagers qu’on avait trouvés sans passeports sur le Tabasco. Il prévenait enfin de Pratz qu’on allait songer à s’occuper de lui et de ses concitoyens, du moins de tous ceux qui avaient les armes à la main. C’était le curé de Palizada qui s’était chargé de porter la lettre à Jonuta. Pratz avait lu la lettre et très bien reçu le curé, qui était rentré fort content chez lui, lorsque, quelques heures plus tard, Pratz arrive à Palizada avec deux cents hommes, fait fusiller un ouvrier, met le prêtre en prison, le menace cinq ou six fois de le faire fusiller, lui rend enfin la liberté en l’accablant d’injures, fait rassembler l’ayuntamiento et lui donne l’ordre de se prononcer pour le parti libéral. Depuis ce temps-là, les communications avec Palizada étaient coupées.

Carmen avait eu également son alerte. Arevalo, l’ancien proconsul de Tabasco, accompagné de dix ou douze hommes, avait eu l’audace