Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/670

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cachait pas pour dire que l’Amérique allait entrer en campagne contre le Mexique avant longtemps. D’ailleurs cela était dans l’air. La France était trop loin pour que ces effluves de guerre s’y fissent sentir, mais on commençait à soupçonner le danger à Vera-Cruz et à Mexico. Au Rio-Grande, on n’en doutait plus, car on le touchait du doigt.

Du reste, le désordre était extrême en toutes choses, et ce n’était pas tâche aisée que de lutter contre lui. La légion étrangère était à Matamoros et aux environs dans des conditions très défavorables pour le service qu’on attendait d’elle. On pouvait craindre qu’elle ne désertât, car un manœuvre gagnait trois piastres par jour à Brownsville, et le Rio-Grande n’a que 50 mètres de large. Il eût fallu par prudence accorder à chaque soldat un supplément d’un réal. Quant aux officiers, qu’on ne pouvait craindre de voir déserter, le commandant Cloué insistait avec une bienveillante énergie auprès du maréchal pour qu’ils eussent le supplément des terres chaudes. Avec cela ces pauvres jeunes gens ne brilleraient assurément pas, mais ils seraient du moins ce que des officiers doivent être. Le télégraphe entre Bagdad et Matamoros avait été rétabli, mais on n’avait ni fouillé ni inspecté le terrain qu’il traversait et où les voleurs de grand chemin abondaient. Mejia, hors de danger, avait repris sa quiétude et ses habitudes de plaisir. Il n’avait poursuivi ni Negrete, ni Cortina qu’il aimait à croire et disait être à 80 lieues de lui, au-delà de Camargo. Au fond, il n’en savait rien. Le commandant avait insisté auprès de lui pour qu’il eût deux ou trois petits bateaux à vapeur de service sur le fleuve. Il n’avait répondu que par des objections, témoignant beaucoup d’apathie. Le temps se perdait de toutes façons, quand on ne l’employait pas à mal. Ainsi, un officier de Mejia, chargé avec quelques cavaliers de protéger la route de Bagdad à Matamoros, venait d’arrêter et de rançonner la diligence. Les coups de feu tirés dans ce pastiche de l’affaire Doineau n’avaient heureusement atteint personne. L’officier toutefois, jugé par une cour martiale à Bagdad, fut condamné à mort et exécuté le lendemain. Nous étions bien pour quelque peu dans cette sentence. Aussi, chose moins étrange qu’on ne le pourrait croire, le colonel Iglesias, commandant militaire à Bagdad, invita ses officiers et les habitans à l’enterrement. Il fallut faire acte d’autorité pour empêcher l’invitation d’avoir son cours. Ce fut à ce moment que les fédéraux de Brazos marchèrent, au nombre de huit cents, contre les confédérés de Brownsville et furent complètement battus en face de Burrita. Malgré cet échec, ou peut-être à cause de lui, car il facilitait aux vainqueurs une négociation honorable, la paix allait se signer entre Brownsville et Brazos, et