Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/666

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soixante-sept. En mars 1865, il ne restait que dix hommes de cette réserve à bord du Magellan, à peu près autant disséminés sur les bâtimens, et cependant on avait toujours pris à chaque transport une douzaine d’hommes pour remplacer les spécialités qui avaient fini leur temps. C’étaient donc environ cent quarante hommes en plus qu’on avait dû se procurer pour combler les vides, et cela dans la bonne saison, c’est-à-dire depuis le mois d’octobre. Dans le moment même, les capitaines de canonnières tombaient les uns après les autres sous les coups réitérés du climat. Les capitaines de la Pique et de la Tactique, MM. de Labarrière et La Source, rentraient exténués en France, où M. La Source devait mourir un an plus tard. Le capitaine Gaude, de la Tempête, était gravement atteint par la variole qui sévissait à son bord. Il y avait à les remplacer, et la pénurie d’officiers se faisait aussi vivement sentir que celle de matelots. On ne se maintenait donc qu’en s’affaiblissant et avec de grands efforts, mais on se maintenait, et plutôt que de subir dans le douteux état d’une tranquillité à laquelle on ne croyait plus les ennuis de l’attente, on appelait les événemens avec impatience. Cette impatience allait être en partie satisfaite.

Soit que le Sud n’excitât point son intérêt, soit qu’il crût n’avoir rien à redouter de ce côté, le maréchal ne s’occupait que du Nord, où le voisinage des Américains et la présence de Juarez étaient pour lui de sérieux motifs d’inquiétude. Les dissidens, secrètement aidés et encouragés, disait-on, par les Américains, opéraient activement dans le Nord et menaçaient surtout Matamoros. Matamoros, on le sait, est sur la rive droite du Rio-Grande, qui sépare le territoire du Mexique du Texas américain. Plus loin, vers l’embouchure, sur la même rive du fleuve, est Bagdad, sorte d’annexe commerciale de Matamoros, rade foraine d’ailleurs. Comme pendans de ces deux villes, sont, sur la rive gauche du fleuve et du côté américain, Brownsville et Brazos-Santiago. Nous avons vu à quel degré de prospérité était arrivé Matamoros pendant la guerre d’Amérique. C’était, en effet, le débouché de toutes les marchandises des états du Sud. Le général impérialiste Mejia occupait Matamoros avec deux mille hommes qui lui étaient personnellement dévoués. Ce général, une des figures intéressantes du Mexique, était un Indien très brave, très fin, très flegmatique, aimant les femmes avec la passion d’un homme de sa race. On prétendait qu’il était plongé dans la débauche et n’avait pas longtemps à vivre. A côté de lui, sur un pied singulier de rivalité et d’intimité, était Cortina, dont nous avions accepté la soumission au mois d’avril précédent et à qui l’on s’était empressé de donner un emploi important. Il n’y "a vraiment que le Mexique où l’on voie se produire aussi promptement de pareilles choses. Cortina n’attendait, disait-on, que le