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d’ordre public ; car aucun député ne consentira jamais, quelle qu’en soit l’urgence, à appuyer une loi qui doit léser une partie de ses électeurs. Il serait impossible aujourd’hui de faire passer, aux chambres le code forestier de 1827, parce que personne ne voudrait prendre sa part de l’impopularité qui l’avait accueilli dans l’origine. A plus forte raison, aucun ministre, toute proportion gardée, n’oserait imiter Colbert imposant au parlement, par un lit de justice, l’ordonnance de 1669, grâce à laquelle les forêts de l’état ont été préservées de la ruine et de la dévastation. Soumis aux oscillations de la politique, ministres, sous-secrétaires d’état ou directeurs-généraux ont à peine le temps, quand par hasard ils en ont le désir, d’étudier les affaires qui jusqu’alors leur étaient le plus étrangères et ne restent jamais assez longtemps au pouvoir pour en poursuivre l’exécution avec suite.

Les divers directeurs-généraux qui se sont succédé à la tête de l’administration des forêts depuis la promulgation de la loi sur le reboisement avaient tous la même bonne volonté, mais ils n’avaient peut-être pas tous la même énergie, ni la même compétence. Sauf M. Vicaire, qui était sorti des rangs de cette administration, ils étaient parvenus à ce poste élevé sans antécédens qui les désignassent pour l’occuper, les uns par leurs relations personnelles, les autres par les fluctuations de la politique ; aussi ne faut-il pas s’étonner s’ils ont souvent cherché à écarter les difficultés plutôt qu’à les résoudre ; s’ils ont accepté des compromis pour ménager certains intérêts ; si, pour se conserver l’appui de leur parti, ils ont dû faire des concessions que, dans leur for intérieur, ils jugeaient inopportunes et si, pour satisfaire les rancunes des personnages influens dans un département, ils en ont éloigné des agens qui n’avaient pas démérité et qu’ils auraient sans nul doute préféré maintenir. Le sous-secrétaire d’état au ministère de l’agriculture et du commerce, qui remplit aujourd’hui les fonctions de directeur-général des forêts, est, personne n’en doute, animé des meilleures intentions : il a pris très à cœur les fonctions dont il est investi, il étudie les questions qu’il ignore et a voulu parcourir les Alpes pour apprécier par lui-même les difficultés que présente l’œuvre du reboisement des montagnes. Mais à quoi bon ? A la prochaine crise, il suivra dans sa chute le ministre dont il dépend. Amené par la politique au pouvoir, il en sera renversé par la politique, juste au moment où, ayant appris à connaître les hommes et les choses, il aurait peut-être pu rendre quelques services. Et ce sera à recommencer avec son successeur, qui aura d’autres appétits à satisfaire, d’autres exigences à subir. Comment veut-on qu’une administration comme celle des forêts, qui ne travaille que pour l’avenir, dont tous les travaux nécessitent un grand esprit de suite,