Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/661

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réparation devront être exécutés, et des indemnités auxquelles la privation du pâturage devra donner lieu en faveur des communes ou particuliers dépossédés ; il stipule l’obligation pour l’état d’acquérir, à l’amiable ou par voie d’expropriation, les terrains situés dans la zone des travaux, à moins que les propriétaires ne s’engagent à les exécuter et à les entretenir à leurs frais ; il abroge par conséquent la disposition par laquelle l’état devenait propriétaire de la moitié des terrains reboisés, par le seul fait que les propriétaires ne lui auraient pas remboursé ses avances ; enfin, il oblige les communies à présenter au préfet, dans le délai d’une année, des projets de règlement de pâturage, sur lesquels il ne devra être statué qu’après avis de l’administration forestière.

Ce projet a été amendé par le sénat dans un sens qui rendra l’application de la loi très difficile. La principale modification introduite consiste en ce que la déclaration d’utilité publique des périmètres obligatoires, au lieu d’être prononcée par décret, comme le demandait le gouvernement, devra à l’avenir faire l’objet d’une loi spéciale votée par les chambres. Cette disposition équivaut presque à l’abandon de l’œuvre du reboisement, parce qu’elle introduit la politique dans une question d’ordre purement administratif. Il est clair en effet que lorsque les agens forestiers se trouveront en divergence avec les populations sur l’opportunité de certains travaux, c’est à celles-ci que les chambres donneront toujours raison, et comme ces conflits se produiront pour chaque périmètre à mettre en défends, il deviendra impossible de continuer l’entreprise commencée.

Dans la discussion qui a eu lieu, tous les orateurs ont reconnu la nécessité des travaux de reboisement[1], mais, chose singulière, quand il s’est agi d’en assurer l’exécution, les préoccupations politiques prenant le dessus, le sénat a reculé. Ce fait seul prouve combien les corps électifs sont peu aptes à voter certaines mesures

  1. « Il est peu de projets, disait M. Krantz, président de la commission du sénat, plus importans que celui qui vous est soumis en ce moment. Il s’agit de la restauration des terrains dont l’étendue n’est pas inférieure à un million d’hectares. C’est déjà un chiffre fort imposant, mais il ne donne pas encore la mesure exacte des conséquences utiles de la restauration projetée. Chaque hectare dégradé dans la montagne en compromet quelquefois plusieurs dans la plaine ; de telle sorte que le mal qui sévit dans la montagne a une redoutable répercussion plus bas ; en définitive, c’est au moins deux millions d’hectares qui se trouvent ainsi perdus pour l’agriculture. Ceci donne en vérité à la loi une importance toute spéciale. Deux millions d’hectares compromis, perdus, dans un pays qui n’en possède que 52 millions, c’est assurément bien grave. Mais les routes, les canaux, le régime de nos fleuves et de nos rivières, tout cela se trouve également compromis par le fait de la dégradation des montagnes. Je n’en dira pas plus sur ce point parce que… jamais cette importance de premier ordre n’a été contestée par personne. »