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de landes et de bruyères, comme étaient autrefois la Bretagne, la Sologne, les Alpes, l’Algérie, que les moutons sont à leur véritable place, parce qu’ils peuvent s’y nourrir des produits naturels, et que, sans aucun soin, ils donnent, bon an mal an, un revenu certain. Mais lorsque les terres se défrichent, lorsque les prairies artificielles remplacent la bruyère et l’ajonc, lorsque l’abondance des capitaux permet l’emploi d’amendemens et l’usage d’instrumens perfectionnés, ils doivent céder le pas à la race bovine, plus exigeante, mais aussi plus productive. Ce n’est pas à dire que le mouton doive être exclu de toute exploitation bien conduite et chassé des pays bien cultivés ; loin de là, il conviendra toujours que chaque ferme, même la mieux tenue, ait son troupeau, pour tirer parti des herbes inutiles ou des récoltes qu’on ne pourrait utiliser autrement ; mais il n’est plus dans ce cas qu’un accessoire de l’exploitation et non la base fondamentale du revenu annuel, à moins cependant qu’il ne s’agisse d’un élevage spécial pour la production de la viande. Ainsi, à y regarder de près, la diminution du nombre des moutons serait plutôt un signe de prospérité agricole qu’un signe de décadence, et, dans les Alpes notamment, ce serait un immense bienfait que de les voir complètement disparaître pour être remplacés par des vaches ; non seulement, les pâturages s’en trouveraient mieux, puisque celles-ci coupent l’herbe au lieu de l’arracher et qu’elles tassent le sol avec leurs larges pieds au lieu de le raviner, comme font les moutons avec leurs ongles pointus, mais les habitans y gagneraient un notable accroissement de revenu. D’après M. Marchand, une vache, qui demande pour son estivage 1 hect. 81, rapporte en moyenne 53 fr. 58, tandis que les moutons, au nombre de 3, 62, qui pourraient vivre sur la même étendue, ne produiraient que 10 fr. 86. C’est donc un bénéfice de 43 fr. en faveur de la première. Frappée de cet avantage, l’administration forestière fait tous ses efforts pour décider les habitans à substituer dans les pâturages des Alpes le gros bétail au petit. Elle a institué sur différens points des fruitières analogues à celles qui existent dans le Jura, et qui sont, comme on sait, des associations pastorales dont l’objet est l’exploitation en commun et la vente, sous forme de beurre ou de fromage, du lait fourni par les vaches réunies en troupeaux. Elle dépense pour cela environ 65,000 francs par an ; mais ici encore elle a à lutter contre l’inertie des montagnards et la rapacité de ceux qui exploitent leur ignorance. Dans les Alpes cependant, ces institutions commencent à prospérer et tendent à prendre un certain développement. Il n’en est pas de même dans les Pyrénées, où les populations sont plus réfractaires. Il serait très désirable que les sociétés d’agriculture locales prêtassent leur