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depuis longtemps. On imaginerait difficilement quelque chose de plus affligeant et de plus significatif que la vue de ces murs délimitant des héritages qui n’existent plus ; ils écrivent sur les revers du Dévoluy la future destinée de toutes les Alpes françaises[1]. Et ce qui prouve bien que c’est au déboisement, et au déboisement seul, qu’il faut attribuer ce résultat, c’est que partout où certaines communes plus prévoyantes ont arrêté la dévastation des troupeaux, la végétation a reparu, les forêts sont rentrées en possession du terrain et les ruisseaux ont repris leur cours régulier.

Si l’on pénètre plus avant dans les Hautes-Alpes, partout le même spectacle frappe les regards. Les environs d’Embrun sont pour ainsi dire la patrie des torrens. C’est là que se rencontrent ceux de Vachères, de Sainte-Marthe et tant d’autres qui ont si bien ravagé le pays, que c’est sur les lits même de déjection qu’on est obligé de faire passer les routes. La plus grande partie du bassin de la Durance est dans le même cas, et cette rivière, dont les eaux bien employées pourraient centupler la richesse agricole de la Provence, coule indécise à travers une plaine de cailloux. Mais qu’au milieu de ces montagnes pelées et ravinées, il s’en rencontre par hasard une qui a conservé son manteau de forêts, l’aspect change aussitôt ; les sapins grimpent sur ses flancs escarpés, d’où descendent, en grondant, des ruisseaux inoffensifs. On se croirait transporté dans les vallées pittoresques des Vosges et de la Suisse, et l’on peut se figurer ce que deviendrait cette contrée, si quelque jour elle était rendue à la végétation forestière dont elle a été dépouillée.

Les autres régions montagneuses de la France réclament également, quoique moins impérieusement. peut-être, le reboisement que celle des Alpes. Les fleuves qui en descendent sont loin d’avoir tous un cours régulier ; plusieurs d’entre eux, comme l’Ardèche et la Loire, roulent des cailloux qui encombrent leurs lits et augmentent le danger des inondations ; d’autres, comme la Garonne, qui reçoit les innombrables cours d’eau descendant des Pyrénées, s’enflent aux moindres crues et débordent dans les vallées. Le reboisement des montagnes où ils prennent leur source atténuerait ces dangers, mettrait en valeur des terres le plus souvent incultes et permettrait par des irrigations de fournir aux plaines l’eau qui est le principal agent de fertilité.


II

Il était impossible que des phénomènes aussi généraux et aussi permanens que ceux dont nous venons de parler ne frappassent pas

  1. Étude sur les torrens des Hautes-Alpes, par M. Surell.