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Ce combat de Mégalopolis fut une rude journée : les plaines de l’Asie n’en avaient pas vu de semblable. 5,300 Lacédémoniens demeurèrent couchés sur le champ de bataille ; 3,500 Macédoniens payèrent de leur vie la victoire. La gloire d’Antipater pouvait faire envie à son maître. Du même coup, Sparte était abattue et la Grèce était pacifiée. Antipater cependant affecta de n’avoir marché contre Agis qu’au nom de la Grèce. Assuré de son ascendant, il convoqua les Grecs en assemblée générale et les chargea de prononcer sur le sort des vaincus. D’un avis unanime, de celui même des Lacédémoniens, qui ne demandèrent pas d’autre grâce, on décida qu’il fallait s’en rapporter au jugement d’Alexandre. C’était incliner tacitement pour la clémence, car personne en Grèce n’ignorait qu’on n’avait jamais fait en vain appel à l’âme généreuse du roi de Macédoine. Quinte-Curce nous montre Antipater inquiet de son triomphe, appréhendant en secret la jalousie qu’il allait inspirer, craignant d’avoir trop fait pour un simple lieutenant. Le vainqueur d’Issus et d’Arbèles fut jaloux, ne le mettons pas en doute ; si grande qu’elle puisse être, l’âme humaine a toujours de ces petitesses. Mais combien le dépit d’Alexandre le rendait injuste envers sa propre gloire ! Qui se souvient aujourd’hui du combat de Mégalopolis, ou qui s’en souvient pour honorer le nom d’Antipater ? Le combat meurtrier n’a laissé derrière lui qu’un nom immortel ; ce nom, c’est celui du vaincu, c’est le nom du roi de Sparte. Pour commander l’admiration du monde, il ne suffit pas, en effet, de gagner des batailles, il faut se montrer grand par ses conceptions ou par son héroïsme. Alexandre et Agis ne sont sans doute pas au même niveau ; le moindre d’entre eux est cependant bien au-dessus d’Antipater.

Je demande d’ailleurs la permission de soumettre à une plus minutieuse analyse la jalousie regrettable d’Alexandre. Le capitaine était fondé à concevoir quelque ombrage d’un succès qui pouvait rabaisser ses propres triomphes ; le roi dut se déclarer bien servi. Des troubles prenant en Grèce une sérieuse consistance le ramenaient forcément en Europe, l’attachaient tout au moins aux rivages de l’Asie. Alexandre avait bien pressenti ce danger et sa prévoyance ne fit pas plus défaut à Antipater que l’activité d’Antipater ne fit défaut au roi. Les flottes, les subsides arrivèrent à temps pour aider le gouverneur de la Macédoine à comprimer la rébellion. Du sein de ses grands projets Alexandre n’avait jamais cessé d’avoir l’œil sur la Grèce. Il se méfiait peut-être en secret d’Antipater, mais il avait laissé près de ce lieutenant suspect Olympias. Les Macédoniens étaient trop attachés au sang de leurs rois pour que l’ambition même la moins scrupuleuse pût se flatter jamais de prévaloir